Remode-toi ! #épisode 3 Universal Love

Diffuser des alternatives concrètes pour une mode responsable et durable : c’est l’objectif de “Remode toi !”. Nous vous proposons une série d’entretiens avec des acteurs qui recyclent, réparent, réutilisent, revendent, révolutionnent et renouvellent notre rapport à la mode. Se remoder, c’est repenser la place du vêtement dans nos sociétés, c’est utiliser les ODD comme des outils de transformation vers un monde durable et désirable d’ici à 2030. C’est ce qu’on vous propose de découvrir avec notre troisième épisode en compagnie d’Isabelle Quéhé, Directrice de l’association Universal Love.

Ce troisième épisode met en lumière une association qui par l’intermédiaire d’expositions et de campagnes de communication, participe à l’éducation des citoyens sur les impacts néfastes de cette industrie polluante.

 

Imaginée à la fin des années 90 sur l’impulsion d’Isabelle Quéhé, l’association Universal Love a pour ambition de communiquer sur les impacts négatifs environnementaux et sociaux de la fast fashion, à tous les niveaux, de la production à la distribution. Par l’intermédiaire d’expositions à destination du grand public, elle promeut des alternatives fondées sur un respect des filières, des matériaux et des travailleurs. Depuis ses débuts dans des lieux alternatifs, le travail d’Universal Love oscille entre données chiffrées, défilés de productions locales et originales, free markets pour acheter directement aux créateurs, et ambiance festive. La mode doit être un secteur d’inclusion de tous les acteurs, sans promotion de l’exploitation certains au bénéfice d’autres. En agrémentant l’événement de conférences, Universal Love s’inscrit dans une démarche d’éducation citoyenne à la mode éthique et durable. La dernière exposition Le Revers de mon Look a été conçue à destination des adolescents, la génération future, déjà sensibilisée aux problématiques environnementales et sociales. 

C’est dans cette dynamique que les objectifs de développement durable peuvent aider à construire une transition durable et encouragent à aller plus loin en matière de bonne gouvernance, de transparence et d’intégration des critères sociétaux et environnementaux. En organisant son action autour de l’éducation et la diffusion de l’information au grand public, en construisant des partenariats avec des créateurs locaux mais aussi des structures publiques de financement, en oeuvrant sur un plaidoyer politique et économique par le biais de la Fashion Revolution, en faisant de la mode un outil de développement local, etc : Universal Love agit sur les interrelations entre les ODD et soutient les citoyens qui souhaitent s’engager dans la transformation de leurs modes de vie. On vous laisse découvrir le parcours étonnant et diversifié d’Isabelle Quéhé avec Universal Love, qui a su se réinventer au cours de l’histoire.

 

Ci-dessous les projets d’Universal Love sur les impacts de la fast fashion :

Changer la mode pour le Climat : http://www.changerlamodepourleclimat.fr/ 

Exposition Parures – Objets d’Art à Porter : https://www.universallove.fr/wa_files/dp%20parures%20def.pdf 

Exposition « PARURES » à l’Hôtel de Lassay : https://www.dailymotion.com/video/x5c4brm 

Le revers de mon look – Pourquoi pas une mode plus éthique et responsable ? : https://www.mtaterre.fr/dossiers/le-revers-de-mon-look-pourquoi-pas-une-mode-plus-ethique-et-responsable 

 

Les références dans l’émission :

Le salon Ethical Fashion Show

L’effondrement du Rana Plaza – Qui est responsable et pourquoi sont-ils morts ?

Comprendre la filière d’approvisionnement en vêtements… de achACT

 http://www.ranaplaza.be/ranaplaza.php

Le mouvement Fashion Revolution https://www.fashionrevolution.org/

L’exposition de le Revers de mon Look et le booklet https://www.ademe.fr/revers-look

Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre https://www.novethic.fr/lexique/detail/devoir-de-vigilance.html

Le documentaire Blue Rivers http://riverbluethemovie.eco/

 

Ce podcast s’inscrit dans le cadre de la campagne sur la mode éthique et durable “Wardrobe Change” dans laquelle nous sommes engagés depuis janvier 2020 avec nos partenaires européens du projet MESA “Make Europe Sustainable For All”. 

 

 

Retranscription audio ci-dessous :

 

Bonjour Isabelle, merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à nos questions. Est-ce que vous pouvez vous présenter à nos auditeurs et nous expliquer de ce que vous faîtes avec Universal Love ?

Bonjour, je suis Isabelle Quéhé et je dirige l’association Universal Love qui existe depuis 1997. A l’origine, Universal Love c’est une association d’amis, créateurs ou artistes, qui ont décidé de se réunir pour créer une plateforme d’expositions de jeunes marques (de mode, de petits mobiliers et/ou de créations artistiques) par le biais d’un événement qu’on appelait les free markets. Ça avait lieu plutôt dans des lieux alternatifs, des anciennes usines à Montreuil, un peu plus tard à Paris au Cabaret Sauvage, et l’idée était de se réunir sous une forme festive. On présentait un travail plutôt artisanal, de petites séries, de créateurs, artisans, artistes. Les free markets ont itinérés à Paris, en banlieue, même dans le sud de la France pendant un petit moment, pratiquement sept ans, et ça a permis à pas mal de jeunes marques de se faire connaître et de présenter leurs collections, de les réajuster en fonction du public.

Le déclic s’est fait au moment de ma rencontre avec deux créatrices, Oumoussi, créatrice sénégalaise, et Bibi Russel, ancienne mannequin créatrice de la marque Fashion for Development au Bangladesh. J’ai eu la chance de les rencontrer. J’ai découvert en elles deux femmes qui avaient vraiment une vision de la mode pour le développement local dans leur pays, et je me suis dit : c’est vrai qu’à Paris, capital de la mode, j’ai l’impression, même si je n’étais pas complètement au quotidien dans ce milieu là, qu’on voit beaucoup de créateurs plutôt européens ou japonais, mais tous ces pays émergents qui ont besoin de commandes européennes, on les voit pas souvent. Et du coup, je suis partie sur l’idée d’organiser des défilés pour les présenter.

 

Et ce fut ainsi qu’en 2004 le premier salon Ethical Fashion Show fut créé : l’ambition était de révéler à un large public de nombreux créateurs éthiques via des défilés de mode.

En fait, ce qui m’a d’autant plus poussée à faire Ethical Fashion Show, c’était le côté social : on met des vêtements pour être beau, ou en tout cas se sentir bien, mais ces vêtements sont faits dans la douleur quelque part. En creusant le sujet, j’ai compris que depuis les années 90, nos vêtements étaient principalement fabriqués dans les pays d’Asie du Sud, où il n’y avait pas de réglementation du travail et où les conditions de travail étaient très dures. Donc j’ai eu envie d’informer le plus grand nombre de personnes à ce sujet. Ainsi, très vite, ce salon on l’a associé avec des cycles de conférences où on faisait parler les gens qui étaient qualifiés. Et on a progressé avec les sujets, au début il y avait très peu de matière, ou écologique ou éthique : les gens ne comprenaient pas le terme “éthique”, comme ils voyaient qu’il y avait des designers de plein de pays différents, ils confondaient “ethniques” et “éthiques”. Donc on a eu beaucoup de pédagogie à faire, qu’on a fait dès 2004 en fait. 

 

Et vous avez vu une évolution entre le moment où vous avez commencé et la situation actuelle?

Disons que notre public a été principalement féminin au début, plutôt autour de 35-45 ans.  Des gens qui étaient plutôt déjà engagés, puis progressivement les boutiques se sont aussi intéressées. Les acheteurs sont venus de pays différents parce qu’on a réussi à faire l’événement au Carrousel du Louvre, donc on a gagné suffisamment de notoriété pour faire venir des acheteurs de pays nordiques, d’Allemagne etc. Mais je dirais grosso modo que de 2004 à 2008, c’était plutôt des gens engagés qui venaient au salon.

Et puis il y a eu ensuite la fameuse crise 2008-2010, beaucoup de marques ont dû arrêter ou sont retournées sur des salons plus mélangés. C’était compliqué parce que les boutiques multi-marques vendaient des marques éthiques à côté d’autres qui ne l’étaient pas, elles ne comprenaient pas encore bien les enjeux d’une mode plus éthique. Il y a eu un moment où les marques engagés n’osaient plus dire qu’elles étaient engagés et pourquoi elles ne voulaient plus raconter leur histoire. Je dirais que c’est l’effondrement du Rana Plaza qui a relancé l’intérêt du public sur ces sujets et qui a remis en lumière les très mauvais côtés de la fast fashion et le manque de transparence de la chaîne de production dans la presse internationale.

 

Le 24 avril 2013, à Savar, près de la capitale du Bangladesh, des employés du secteur textile ont été contraints, sous peine de ne pas être payés, de prendre leur poste dans un bâtiment qui était interdit d’accès car présentant un fort risque d’effondrement.  En conséquence, l’effondrement du Rana Plaza a fait 1138 morts parmi les travailleuses et travailleurs, et 2000 blessés.

Le mouvement Fashion Revolution est né en Angleterre à ce moment-là. Les consciences se sont éveillées à nouveau auprès du grand public et des acheteurs. 

 

Et cette époque que vous avez créé l’exposition Le Revers de Mon Look, aujourd’hui cette exposition se déplace toujours de lieu en lieu, est ce que vous pouvez raconter la genèse de ce projet et nous raconter l’impact qu’il a encore aujourd’hui ?

Le salon a été racheté en 2010 par le groupe Mertz Frankfurt, et je me suis dit, dès que j’ai du temps, “maintenant c’est vraiment les adolescents, c’est à eux qu’il faut parler”. Avec Hélène Sarfati et d’autres personnes, on a commencé à réfléchir à une exposition à destination des adolescents qui leur expliquerait le processus de fabrication du vêtement. Très peu de gens savent qu’un vêtement ne consiste pas seulement à trouver un tissu et le couper. C’est toute une filière qui commence, pour le coton, par la culture du coton, pour aller à la filature, au tissage, à l’ennoblissement, la teinture, la confection, et qu’à toutes ces étapes, il y a un impact qui peut être écologique et social. On a voulu présenter tous ces processus, pointer du doigt les problèmes et montrer les solutions qui s’offrent à nous pour mieux faire. 

L’exposition a commencé en 2012. C’était des panneaux qui avaient une photo côté face, comme des panneaux de foire, avec la tête évidé, derrière lesquels chacun pouvait se prendre en photo devant un look. Les explications étaient derrière. L’ADEME était intéressée à ce moment-là parce qu’ils n’avaient pas d’outil à destination spécifiquement des adolescents et un peu plus tard EcoTLC nous ont accompagné aussi pour pouvoir créer tous ces outils. A partir de 2012, l’exposition a itinéré à la fois dans des collèges, des lycées, mais aussi des médiathèques. Avec le temps on s’est rendu compte que le sujet intéressait les adolescents mais que le public, toutes générations confondues, était aussi super intéressé. Très peu de personnes ont conscience de tous ces processus, du coup ils comprennent mieux les impacts que ça peut avoir sur l’environnement et le côté social, de la confection jusqu’au recyclage et la fin de vie. On a refait en 2019 l’exposition de façon un peu plus différente, plus artistique, à base de tissus, de bois recyclé.

 

C’est intéressant de réfléchir à sa consommation de vêtements en partant des premières étapes et c’est pour ça que l’on vous a contacté, le projet que vous menez avec Universal Love s’inscrit dans une dynamique de transformation et de transition vers un monde plus durable : c’est sur quoi les Objectifs de Développement Durable veulent travailler et veulent nous mener. L’idée est de pouvoir les utiliser en tant qu’outil. Selon vous, cette exposition adressent quels objectifs dans une transition plus globale? 

Pour moi tout passe par l’information, plus le monde est bien informé, plus il suit des discussions, et plus on arrive ensemble à des solutions. Je pense qu’aujourd’hui ce qui fait partie des solutions, c’est vraiment de travailler tous ensemble. Et même, que des créateurs ou des gens qui travaillent sur des nouvelles façons de faire de nouveaux matériaux, que toutes ces informations-là puissent circuler partout pour qu’on avance ensemble.

On a synthétisé des informations parce qu’à la base c’était vraiment pour les ados et les ados on sait qu’ils lisent pas beaucoup, donc on a essayé de faire quelque chose de clair, de synthétique et en même temps de pédagogique et ludique, que ce soit quand même fun quoi. Et puis le look on sait que c’est important malgré tout pour tous, en particulier au moment de l’adolescence.

Avant on n’en parlait pas dans la grande couture, de la couture, des grandes marques bien installées, parce que il y avait des sujets qui restaient opaques. Aujourd’hui tout le monde prend conscience de cette problématique d’impact environnemental de la mode : ça utilise beaucoup d’eau, beaucoup d’énergie, les transports, etc. C’est phénoménal, on dit que c’est l’une des industries les plus polluantes dans le monde. Ça c’est une grande chose, mais il ne faut pas oublier le côté social, et pour moi c’est un combat que je privilégie. Même si c’est loin de nos yeux, on ne peut pas l’oublier. Et nous en tant que citoyen, on a vraiment le moyen de faire pression. C’est important que les gens soient payés correctement avec un salaire vital. Et vital ça veut dire se loger, se nourrir, ça veut dire pouvoir envoyer ses enfants à l’école, etc. 

 

C’est ce qu’incarnent vraiment les Objectif de développement durable. De manière indirecte, vous traitez de ces sujets de fond sur l’éducation de qualité, lié à la santé, etc. Vraiment tous les objectifs en même temps. Les objectifs ont été construits autour de cibles, assez précises, avec une échéance dans le temps (2020, 2025, 2030). Par exemple pour l’Objectif 17 sur les Partenariats pour la réalisation des Objectifs, une des cibles vise à renforcer le Partenariat mondial, notamment par le biais de collaborations entre différents types d’acteurs pour renforcer les savoirs et les connaissances. On voulait avoir votre avis : comment les pouvoirs publics peuvent-ils avoir un champ d’action sur la réalisation des Objectifs et prendre en compte les défis sociaux mais aussi les enjeux environnementaux ? 

Je pense que ça passe par des lois, des obligations, des règles, des interdictions. Tout le monde doit s’y mettre ensemble. Nous, en tant que citoyens, on doit avoir cette prise de conscience : en étant connecté avec le monde entier 24h/24, on ne peut pas faire abstraction de là où sont produits principalement nos vêtements, même si c’est à l’autre bout du monde. Et les politiques, pour éviter ce manque de transparence, et des catastrophes comme il y a eu au Rana Plaza, doivent rendre responsables les entreprises qui ne connaitraient pas toute leur chaîne de fabrication et de production. Pour ne pas qu’ils puissent dire, quand un événement comme ça a lieu, “ j’ai jamais passé ordre à cette entreprise, donc non je ne veux pas prendre en charge les victimes”. 

Aujourd’hui d’ailleurs, la France a été parmi les premiers pays à faire une réglementation qui s’appelle le droit de vigilance (devoir de vigilance) qui rend responsable les entreprises de plus 5000 employés sur leur impact environnemental et social. C’est une réglementation, ce n’est pas une obligation. Moi, ce que j’aimerais aujourd’hui, c’est qu’il y ait des lois qui interdisent des façons de faire, des façons de polluer. Je ne sais pas si vous avez vu le film Blue River (River Blue) qui parle des dégâts de l’industrie textile et notamment des teintures sur les fleuves comme le Gange en Indonésie ou ailleurs. Un moment, on peut pas dire “faut faire ci” sans exiger, sans interdire. 

Les plus grands, les groupes de luxe, ont les moyens d’innover. Par exemple Kering, ils ont mis des choses en ligne. Ils peuvent ouvrir leurs données aux plus grand nombre ou faire des MOOC, pour que justement les étudiants de mode qui veulent aller vers une mode plus éthique puissent savoir comment ils peuvent faire pour produire mieux. Je pense que le monde de la mode, peut être que je suis trop positive ou mais, je pense qu’il est vraiment en train de changer, et que dans les écoles de mode, il y a une vrai demande des étudiants, et aujourd’hui y a des cours, des sessions pour apprendre à mieux faire.

 

Vous venez de dire qu’il faut que tout le monde s’y mette, c’est l’idée dans laquelle s’inscrit l’Agenda 2030. Il faut qu’on s’y mette tous et que personne ne soit laissé à l’écart de la transition écologique. Vous nous parliez en off de l’exposition Parures que vous avez construite avec l’idée de pouvoir remettre sur le devant de la scène des créateurs qui utilisent des savoirs traditionnels, c’est dans cette idée d’inclusion que vous avez construite cette exposition ?

Comme je disais, aujourd’hui on est pratiquement du Nord au Sud habillés tous pareil. Il faut retrouver, à travers nos vêtements, des savoir-faire textiles qui sont propres à chaque culture. Il est important de les sauvegarder pour les transmettre aux générations futures. En France, l’artisanat renvoie encore à quelque chose de pas très mode, mais j’ai l’impression que la nouvelle génération s’empare de ces savoirs les réactualisent, les utilisent et puis travaillent plus en commun : mettre en commun des services de couture, partager des machines à coudre, ou des ateliers, un espace de teinture, etc.. Pour lutter contre, enfin contre, à côté de la fast fashion et du luxe, pour que les jeunes marques résistent, il faut bien qu’elles puissent partager des services qui, s’ils sont tous seuls, leur coûtent trop chers. Il faut sauvegarder des différences. Dans les pays émergents, souvent ce que j’ai vu c’est que dès que le pays entre dans une économie de commerce, la fast fashion arrive et pour les jeunes marques de lutter devient super compliqué.

 

On va terminer notre interview. Dernière question : comment voyez-vous la mode en 2050 ? 

Je pense qu’il y aura de la place pour tout le monde. Je pense qu’on est allé très loin dans la fast fashion et aujourd’hui on sent bien que y a plein de gens qui en ont un peu marre. Donc on va acheter moins mais en même temps on est curieux. Les réseaux sociaux vont-ils continuer de devenir exponentiels ? Instagram pour la mode a pas mal permis à de petites marques de se faire connaître, donc je pense qu’il peut y avoir de la place pour des plus petits. Ou des gros qui vont faire plus de partenariats avec les plus petits, des collections capsules je sais pas…

 

Merci beaucoup, c’était vraiment un plaisir. C’était une conversation intéressante et merci de vous être déplacée.