« Si on n’avait rien fait, je n’aurai pas pu être un bon artisan de mon siècle »

L’Accord de Paris a été signé par presque tous les pays du monde pendant la COP 21 à Paris, en 2015. Chaque Etat y a pris des engagements concrets en termes de politiques publiques, qui, s’ils sont tenus, nous permettront de rester sous le seuil critique d’une augmentation de la température de 2°C sur la Terre.

Mais ces politiques publiques sont difficilement compréhensibles à l’échelle des citoyens. C’est pour cela que 4D travaille à modéliser ce que pourra être notre futur, pays par pays, à l’échelle des familles. Ce travail de modélisation s’appuie sur les contributions signées par les pays, les projections d’organismes nationaux et internationaux (notamment l’Ademe), les statistiques et analyse de la population, l’économie et les modes de vie des différents pays…

Dans ce récit, vous pouvez rencontrer Clément, un artisan habitant dans le Nord de la France.

Ecoutez Clément vous raconter sa vie de 2010 à 2050 !

La version écrite

Je suis né au début du 21ème siècle dans le nord de la France aujourd’hui j’ai 50 ans. Je me souviens plus jeune ça parlait beaucoup chômage. J’avais fini par croire que c’était un manque de la famille. Mes parents en parlait tout le temps à table et bam encore une fermeture de site. On vivait à Lance dans le nord de la France dans un pavillon d’après-guerre plein de courants d’air. Pendant 150 ans, le bassin de Lance a vécu par et pour le charbon. J’avais 18 ans en 2018, tu parles d’un avenir. Pourtant pendant que mon père galérait à amorcer sa deuxième reconversion professionnelle cette fois dans l’informatique, moi on me racontait une autre histoire au lycée. Des professionnels présentaient leur nouveau métier ce qu’ils faisaient par exemple pour fournir une nouvelle énergie 100% renouvelable. Il y avait aussi des agriculteurs 100% bio, des sols vivants, pas de production sous perfusion de glyphosate. On voyait que c’était pas rose tous les jours pour eux mais ils m’ont donné envie. Mais ils m’ont parler de futur et de transformation, pas de travail désincarné.

Il y eut un homme en particulier. Il nous racontait que quand un client l’appelait pour une chaudière, il lui répondait : « Oui et de quelle couleur ? ».  Silence au bout du fil vous doutez bien. « Oui monsieur », il poursuivait, « Si je travaille avec vous, c’est pour votre confort thermique alors il faut qu’on parle isolation, ventilation, chaleur en hiver et fraîcheur en été ». Il m’a plu ce plombier nouvelle génération, j’ai choisi cette filière et je n’ai pas regretté. Très tôt, j’ai été apprenti sur des chantiers. En 2020, il y avait des projets de rénovation au quatre coins de la région avec des ambitions stimulantes pour un mec comme moi . Ville de demain, quartier sans émissions, je n’apprenais pas qu’à passer de l’enduit à la chaux, je touchais aussi au réseau numérique et énergétique. A la place des passoires thermiques de mon enfance, s’érigeaient des maisons passives, pas partout mais dans certains quartiers où ça se mobilisait. Pour réaliser des habitations qui ne consomment pas plus d’énergie qu’elle n’en font, il faut réunir un certain nombre de facteurs, des compétences techniques déjà. Il faut aussi que les gens qui y habitent dedans jouent le jeu. Alors j’ai eu envie de voir derrière la prise. J’ai poussé mes parents à s’abonner auprès d’un fournisseur d’énergie verte et ma mère, qui était comptable, s’est intéressée au livret d’épargne pour la 3ème révolution industrielle dans la région. En 2023, elle a commencé avec 50 euros  puis elle a vraiment constitué une épargne. Elle a ensuite rejoint le bureau d’une des nombreuses coopératives qui produisent de l’électricité solaire puis il injecte au niveau du territoire et le revend au national. Elle qui s’était toujours demandé à quoi ça servait de compter tous les jours, là elle était fière.

J’ai déménagé à Aras en 2030 à 30 minutes de vélo électrique de chez mes parents. J’y ai fait mes classes du soir, je recevais tous les jours deux à trois invitations pour des soirées entre jeunes common makers, les fameux faiseurs de commun qui ont challengé cette décennie. On évaluait les situations critiques, réchauffement climatique, on allait toujours vers les 3 degrés puis les papillons toujours pas revenus après la grande perte de 2025 et on boostait les success stories, les cités jardins , la semi-autonomie alimentaire des métropoles. On croyait en l’intelligence mise en commun je n’y allais pas pour les techniques mais pour les méthodes de management, de dialogue entre les partenaires. C’était quand même souvent ça le problème sur mes projets entre le moment où vous avez le plan en main et le moment où vous remettez les clés. Il y a toute une suite d’incompréhension, d’ajustement au rabais, bref de la pédagogie, il fallait bien ça le territoire voulait diminuer de 40% les consommations d’énergie d’ici 2050 et multiplier par 10 la production d’énergies renouvelables. Pour accélérer la dynamique, on voyait bien la nécessité d’embarquer tout le monde et commencer à parler de choses complexes simplement. « Est-ce-que vous vous intéressez à votre santé? Mais et si l’air est pollué, si les forêts se dégradent, santé + environnement = une autre relation au vivant, tout le vivant. »

Et c’est comme ça que j’ai rencontré ma femme. Elle développait des outils pour lancer des défis, se challenger avec ses voisins, du meilleur recyclage de nos produits high-tech à la boucle d’eau la plus efficace pour tempérer des serres maraichères et pas seulement avec des applis même si c’était une superbe développeuse car la consommation énergétique du numérique était toujours en augmentation en 2035. Etre déconnecté faisait parti du challenge, ça obligeait à repenser les relations pour faire ensemble.

Elle pensait que tous ces changements d’habitation demandaient de nouvelles habitudes, pareil pour les transports et le changement, ça se stimule par plusieurs facteurs humains et culturels. Ma femme se présentait comme une pédagogue en ingénierie. Combien d’entre nous aime calculer le temps qu’une voiture passe sur un parking ou dans les embouteillages ? Et moi, j’organisais ma petite entreprise en plusieurs bureaux dispersés sur le territoire au plus près des ressources de travail, moins de distance, un planning hyper précis, des bonus collectifs.

On est en 2050, notre région a bien changé en 50 ans, ma grand-mère tissait de la dentelle, ma fille se lance dans des éoliennes individuelles en lin, rien ne se perd. Cet été était caniculaire comme tous les étés, 42 degrés c’est vraiment chaud, mais on s’est adapté,. le rythme espagnol du siècle dernier est aujourd’hui un made-in-Haut de France. On peut au moins se féliciter de ne pas avoir atteint les 50 degrés prévus si on avait rien fait et là j’aurai beau être un super artisan de mon siècle, je n’aurais pas pu fait grand chose.

Clément, Aras, 6 août 2050