L’impérieuse nécessité de progresser vers des modes de vie durables

Les modes de vie, fondement des identités individuelles et collectives

Le mode de vie moderne est couramment déterminé par le pouvoir d’achat, qui définie lui-même des manières de se déplacer, de se loger, de s’habiller, de se divertir, de s’alimenter etc. Au-delà des aspects matériels, le mode de vie désigne plus globalement une façon de concevoir le monde, l’environnement les autres et soi-même… un ensemble de représentations culturelles. Ainsi le mode de vie fomente les identités et les appartenances sociales, par le biais notamment des modes de consommation et des activités pratiquées. Notons d’emblée la double dimension des modes de vie : pratique (gestes et savoirs-faire) et axiomatique (opinions et valeurs).

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Nous aspirons tous à bien vivre…

Au  cours du 20e siècle, dans les pays industrialisés, les notions mêmes de progrès et de confort ont évolué avec l’avènement de la société de consommation, dont les moteurs principaux sont l’accumulation de biens et la propriété privée que ce soit pour répondre à des besoins essentiels, ou de manière totalement ostentatoire. Jusqu’à il y a peu, cette capacité de consommer était réservée à une partie de la population mondiale, à savoir les pays industrialisés. Depuis quelques décennies maintenant, la société de consommation connaît un véritable boom : la classe moyenne des sociétés en développement a soif de consommer, et les nouveaux modes de vie calquent ceux des pays industrialisés.

Mais nos ressources sont limitées

La non soutenabilité de ce mode développement a rapidement été dénoncée : réchauffement climatique, surconsommation de ressources naturelles (minérales, énergétiques), appauvrissement de la biodiversité… pollutions et dégradations environnementales etc. Déjà en 1992, à la conférence de Rio, les Etats lançaient le programme décennal sur les modes de consommation et production durable, qui stipule notamment que « des changements fondamentaux dans la façon dont les sociétés produisent et consomment sont indispensables pour parvenir à un développement mondial durable. Tous les pays doivent promouvoir des modes de consommation et de production durables, les pays développés devant donner l’exemple et tous les pays devant bénéficier du processus […]. »  Il y a alors consensus : la crise écologique s’aggrave et notre modèle de développement économique touche aux limites de notre planète.  Vingt ans plus tard, le constat reste le même, même si des progrès ont été réalisés dans la prise de conscience, dans les process de fabrication, les habitudes de consommation évoluent et la sobriété s’est faite une place dans le débat public… Pourtant aucune rupture réelle n’a été engagée, la tendance reste la même : nous consommons plus de ressources que nous n’en disposons[1].

Nos sociétés font face à de grandes transformations…

qui ne cessent d’augmenter la pression sur nos consommations énergétiques et de matières premières : urbanisation (75% de la population vivra en ville en 2050) et croissance démographique – nous serons près de 9 milliards d’individus sur la planète d’ici 2050 – nouveau rapport au travail et mutations des structures sociales, accélération des échanges commerciaux et de la circulation de l’information… Faute de politiques très volontaristes et concertées réussissant à infléchir notablement le contenu énergétique de modes de production et de consommation diffusés à une part rapidement croissante de la population du globe, des tensions majeures sur l’approvisionnement énergétique se produiront  dans la plupart des pays. Il en sera de même pour les ressources rares. Un renchérissement de ces ressources – énergies fossiles, produits agricoles, eau, ressources minérales sous tension comme les terres rares…- est donc à prévoir, avec des conséquences probablement aggravées par la spéculation financière sur ces produits. Cela risque d’alimenter des conflits entre pays et une grande fragilisation des populations les plus vulnérables.

La poursuite et l’accélération des changements climatiques

En l’absence d’accord cadre international sur les changements climatiques et d’actions consécutives, les tendances actuelles se confirmeront : hausse des émissions et accélération des impacts. Il est probable que les trajectoires d’émissions des pays continueront de diverger et que les réductions ainsi obtenues ne permettront pas de s’orienter vers la stabilisation du climat telle que recommandée par le GIEC. Un tel scénario conduirait à un réchauffement additionnel d’au moins 3°C à l’horizon 2100 (dont 1°C d’ici 2050 par rapport à aujourd’hui).

De nouvelles formes d’inégalités émergent

Alors que le 21e siècle s’amorce, les crises économique écologique, énergétique et sociale révèlent l’ampleur des inégalités : d’un côté les besoins fondamentaux d’un nombre accru de Français ne trouvent pas de réponse (logement, chauffage, mobilité, alimentation…),  alors que de l’autre la surconsommation d’un certain nombre de biens et services fait peser des risques importants, psychosociaux, sanitaires, d’endettement… Au niveau international, le réchauffement climatique, généré par l’activité anthropique notamment des pays du Nord, fait peser des risques planétaires, face auxquels les pays du Sud sont les plus vulnérables… Les inégalités sociales, économiques et écologiques se cumulent à toutes les échelles.

Bien être et croissance : un décrochage progressif… une remise en cause des valeurs ?

Le bien être des français connaît, selon l’enquête CREDOC de juillet 2013[2], un décrochage progressif depuis les années 2000 : « Le bien-être aurait progressé, depuis 25 ans, à un rythme moins soutenu que celui du produit intérieur brut : +1,3 % par an pour le bien-être, contre +1,7 % par an pour le PIB ». L’enquête pointe « une insatisfaction croissante vis-à-vis du pouvoir d’achat, un enracinement du sentiment de déclassement social, une défiance plus prononcée à l’égard des institutions et une attirance plus marquée pour le radicalisme politique ». Ce décrochage questionne la pertinence de l’idéal de la croissance infinie. Au regard de la surconsommation, la sobriété fait son chemin dans les esprits, la sensibilisation à un autre rapport à l’environnement gagne du terrain. Les pratiques évoluent…[3]

Face aux crises,  l’objectif est double pour un pays industrialisé tel que la France: le Facteur 4 et la justice sociale. L’enjeu est bien la mutation du paradigme de développement, pour entrer dans l’ère d’un développement durable ;  la mutation des modes de vie relève ici d’une impérieuse nécessité. C’est elle qui drainera la transition écologique et sociale tant attendue. Ainsi progressivement et avec des étapes majeures à franchir d’ici 2050, nos mode de vie devront progresser vers d’avantage de sobriété (économies d’énergies et de ressources), d’efficacité (process de fabrication et d’usage). Ils intégreront également d’avantage de technologie (à un niveau individuel et collectif). Enfin, la mutation des modes de vie devra s’inscrire dans le cadre d’un véritable transfert de satisfaction afin de dégager des alternatives désirables à la société de consommation.

La cruelle absence de formulation de ce que sont les modes de vie dans une société post carbone

 Qu’est-ce que bien vivre, si l’on prend en compte les contraintes actuelles et futures, sur les ressources, matières premières, espaces, moyens financiers ??

Force est de constater qu’il n’y a jamais eu d’explicitation des modes de vie possibles pour les populations en général et selon le contexte spécifique des différents pays. De nombreux travaux et rapports prospectifs sont réalisés, en France, en Europe et à l’international pour décrire le monde à moyen et long terme, que ce soit selon des approches macro-économiques, sectorielles ou sociétales, qu’il s’agisse de projets de recherche publique, d’études économiques, ou de marketing. Ces travaux connaissent un certain regain d’intérêt depuis quelques années, dans un contexte de crises et d’interrogations persistantes sur notre avenir commun. Néanmoins, ces travaux sont entravés par la sensation douloureuse d’un vécu qui s’accélère, tâtonnant dans un monde versatile, global, interdépendant et de plus en plus complexe… Quel est le monde de 2050 que nous voulons ? Le récit sur un futur collectif réussi est en panne.

Pour contrecarrer l’angoisse et le repli engendrés par les crises économique, sociale et environnementale, il importe aujourd’hui que la société, dans ses différentes composantes et de manière partagée, puisse se projeter concrètement  dans un futur possible, réussi et durable. Les travaux existants sur la transition soulignent la dimension systémique de cette dernière : elle résulte de l’interaction entre les différents acteurs et doit se faire selon des modalités qui parlent à chacun. Pour cela, la mise en débat est essentielle. Les chemins de transition ne peuvent être élaborés que collectivement, rattachés à une ou des vision(s) partagée(s), reflétant une ambition commune.