Les territoires, réceptacles des crises d’aujourd’hui

 

editoLes limites du modèle de consommation et du modèle de développement économique basés sur un concept « prélever – consommer – jeter » concernent au plus près l’échelon territorial, parce qu’ils ne tiennent compte ni de la limitation des ressources naturelles et énergétiques ni de l’impact des activités humaines sur l’environnement, et qu’ils sont amplifiés par la crise de la financiarisation.

Par Laurence Ermisse

En effet, les premiers touchés par le prélèvement des ressources naturelles, par le coût social et humain de la précarité énergétique, par les pollutions des sols ou de l’air, ou par la vulnérabilité croissante du tissu social sont bien les niveaux territoriaux. Ils sont incontestablement à la fois le lieu de formation des solidarités, les viviers géologiques et naturels de l’ensemble, les premiers à accompagner les problématiques sociales et d’emploi, les réceptacles des dégradations et pollutions. Ils doivent à ce titre se préparer à infléchir leurs politiques pour s’adapter et anticiper les conséquences de ces fortes problématiques.

Ces éléments impactent en particulier la qualité de vie de leurs concitoyens et la survie des espaces dont ils ont la charge.

C’est face à un modèle remis en cause et pour répondre, dans un contexte contracté, à davantage d’enjeux sociaux et écologiques que la transformation économique et sociale des territoires est un des leviers forts d’une amélioration globale des conditions de vie et de préservation à long terme des ressources naturelles.

La transition écologique des territoires, un enjeu d’avenir

Les tensions budgétaires sur les politiques publiques, le renchérissement des coûts des matières premières et des transports, et la dégradation de la qualité de vie qui en découlent invitent à repenser le fonctionnement territorial. Cette transition économique écologique qu’appellent le développement durable, doit être en capacité de répondre à deux grandes attentions :

–          La capacité, pour les territoires, de résister aux chocs extérieurs

–          La reprise, par les territoires, de la maîtrise de leur développement

La transition du mode de développement, vers un développement plus respectueux des ressources et capable d’apporter épanouissement des populations actuelles et à venir devient alors un enjeu fort. Construire aujourd’hui la transition écologique des territoires impose un double mouvement : repenser les enjeux de territoire en termes de ressources et de résilience aux crises systémiques (sociales, économiques, environnementales), autant que de s’inscrire dans une perspective de futurs souhaitables en termes d’activités, de façon de vivre, de travailler.

L’enjeu est de développer une économie décarbonée et non gaspilleuse. C’est en même temps privilégier l’innovation sociale, être attentif au capital humain, redonner du sens au développement, et à travers cela au travail, à l’existence et au territoire. C’est également réintroduire le capital humain dans la création de valeurs territoriales, ré-ancrer l’homme sur son territoire, via les activités et l’investissement.

Plus souvent nommée « économie verte territorialisée », il s’agit de s’appuyer sur les ressources locales, humaines, naturelles, culturelles, pour identifier les potentialités endogènes de développement tant dans les secteurs dits « verts » (gestion des déchets, énergie renouvelable, pollutions…) ou de l’Economie sociale et solidaire (services à la personne…) que dans les leviers de développement économique et social que représentent les réponses à la crise environnementale comme la protection des espaces, la réduction des pollutions en aval de l’activité industrielle, l’anticipation des risques, une remise en cause beaucoup plus profonde des choix technologiques.

C’est surtout et avant tout transformer en profondeur les modes de production de l’économie locale, rentrer dans une logique systémique du développement, introduisant dans le calcul de valeur, le coût sur l’environnement, le coût social, l’impact sur l’épanouissement, la valeur financière ; passant également d’un fonctionnement coût / valeur à un fonctionnement de flux, prenant en compte les externalités et ainsi construire un développement local basée sur des principes d’économie circulaire, d’écologie industrielle, de circuits courts.

Le retour au local, dans un monde globalisé, une nécessité imposée par la transition

L’économie territoriale façonnée par les filières mondialisées, est jusqu’ici réglée par la concurrence entre territoires et l’hyperspécialisation en fonction des dotations de facteurs. Cela engendre une fragilité de tissus économiques mono-activités, un épuisement des ressources naturelles, des inégalités croissantes avec une polarisation entre zones de richesses et zones de pauvreté, des migrations contraintes des populations… Une économie écologique et équitable, au contraire, recherche un développement territorial le plus harmonieux possible, utilisant au mieux les ressources locales au service du bien-être des populations et intégrant les défis du développement durable.

Elle doit donc reposer sur un principe de territorialisation de l’activité économique et la construction de politiques économiques locales intégrées. S’engager dans une économie locale territorialisée, relève donc de quelques grands principes :

–          Passer d’une logique de localisation à celle d’ancrage (« ré aménagement » du territoire pour une limitation des transports et un emploi local)

–          Engager une gestion d’ensemble de l’économie, impliquant une phase de diagnostic, de réflexion prospective et de construction d’un programme d’actions et surtout, de raisonnement circulaire de la production et des flux dans une gouvernance partagée

–          Relier Recherche / Développement / Territoires

–          Impliquer et renouveler les modalités de finances locales, stimulant expérimentation et projets et permettant de réimpliquer les acteurs du territoire et les habitants dans les projets locaux

–          Raisonner à la fois en termes d’interterritorialité, en articulation notamment entre les différents niveaux territoriaux et le national (avec un chef de fil), et de constructions de partenariats

–          Renforcer une nouvelle gouvernance locale, articulée à une gouvernance nationale et multilatérale

Le territoire est le lieu où s’organisent les identités, les relations sociales, culturelles, économiques et politiques. C’est donc le premier lieu où peuvent s’affirmer des choix, des arbitrages entre plusieurs voies possibles. Pour que la mutation soit effective, il faut des organisations territoriales efficaces, capables de reprendre la main sur les conditions de vie des populations et de faire face aux besoins (écosystèmes dégradés, métropoles surpeuplées, territoires fragilisés, populations déplacées, zones de non-droit, zones rurales délaissées…).

S’engager dans un développement endogène c’est donc travailler sur de nouvelles filières, à l’économie circulaire, à des activités non délocalisables (qui ne subissent pas la concurrence internationale), soit parce que leur production est par essence locale, c’est le cas de certaines activités de service comme les services de proximité ; soit que l’offre des produits soient inélastiques à la hausse, c’est le cas des produits dont la consommation répond à d’autres critères que celui du prix ; soit enfin que l’activité soit le fruit d’un écosystème territorial particulier, qui la rend difficilement transférable sur un autre territoire.

Les moyens de l’action, les territoires sont en expérimentation

Loin d’avoir trouvé la solution, nombre de territoires, collectivités locales ou territoires organisés (Pays, missions massif central, Parcs naturels, …) engagent cette réflexion pour trouver de nouveaux leviers de développement, tant d’un point de vue emploi, qu’activités, maîtrise du foncier, redéfinition des finances locales. L’enjeu, à travers cela, est l’évolution vers une économie locale intégrée, pensée de manière globale et en articulation avec les autres niveaux territoriaux.

Les territoires parce qu’ils sont les plus proches des citoyens, sont les plus aptes à permettre une élaboration démocratique du futur. Ce sont de bons niveaux pour mener ces expérimentations qui permettront de découvrir les voies de transition vers une économie écologique et équitable et de bâtir les résistances aux risques environnementaux et sociaux. L’économie écologique territorialisée n’implique pas le retour à l’autarcie mais une organisation harmonieuse entre les diverses échelles, du local au global.

Le recyclage, l’allongement de la durée de vie des produits, la lutte contre l’obsolescence artificielle, la standardisation des composants ou pièces détachées, le développement de services d’usage en lieu et place de la vente de biens, l’économie circulaire, la réorganisation de la logistique, les circuits courts,… sont autant de pistes pour accentuer la baisse de l’intensité énergétique et de la consommation de ressources de la production. En s’orientant vers une transformation en profondeur de la structure et de l’organisation de la production, allant de pair avec la mutation de l’emploi, de nombreuses créations d’emplois peuvent voir le jour localement, au-delà des « emplois verts » comptabilisés par la statistique nationale française. Au niveau mondial, l’Organisation Internationale du Travail dans son rapport du 31 mai 2012, Vers un développement durable : travail décent et intégration sociale dans une économie verte, pointe le fait que l’économie verte crée des emplois dans de nombreux secteurs, soit de 15 à 60 millions d’emploi à l’échelle mondiale.

Pour cela, les territoires souhaitent également maîtriser l’insertion de leur économie territoriale dans les échanges à l’échelle nationale, européenne et mondiale et s’interrogent sur les modalités de gouvernance et de structuration territoriale. Ce sont des nouveaux rapports au sein des organisations, entre les organisations et les acteurs du territoire, des entreprises aux citoyens.