Le constat de la dégradation de l’environnement et de la finitude des ressources naturelles depuis les années 1970 est un véritable bouleversement économique et écologique. Notre vision du développement est remise en cause: l’humanité va désormais devoir vivre en équilibre avec sa planète…, elle est « mariée » à sa planète. 2050 constitue une échéance centrale, avec trois rendez-vous : la fin de la croissance démographique de l’humanité, la nécessité de diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre et le déclin annoncé de certaines ressources, notamment énergétiques.
1. La difficile avancée vers un développement durable
La Révolution Industrielle a permis, dans certains pays, une considérable accélération de la création de richesses avec une multiplication par 5 à 10 du taux de croissance. Une évolution inédite dans l’histoire. S’est alors posée, en Europe plus particulièrement, la question brûlante de la répartition de cette richesse. Pendant plus d’un siècle, elle a opposé les responsables économiques et les acteurs sociaux. Progressivement, un compromis s’est construit, avec l’accès du plus grand nombre à de meilleures conditions de vie, la mise en place de systèmes de protection sociale et de régimes de retraite, l’instauration d’un dialogue social. Une vision nouvelle du développement a ainsi émergé avec l’accès à une consommation de masse associant dans un compromis toujours précaire l’économique et le social. C’est dans la sociale démocratie européenne que cette synthèse a été le plus loin.
Néanmoins, la mondialisation de l’économie met aujourd’hui en péril ces avancées sociales si difficilement acquises. La mise en concurrence des entreprises et des salariés européens, asiatiques, latino américains se traduit par une forte érosion des systèmes de protection sociale.
Par ailleurs, le constat de la dégradation de l’environnement et de la finitude des ressources naturelles, à commencer par le pétrole, depuis les années 1970, est un véritable bouleversement économique et écologique. Il introduit un facteur nouveau qui bouleverse la vision du développement. De nouveau on a opposé ces préoccupations environnementales aux impératifs économiques notamment dus à une vive concurrence. De plus, la prise en compte de l’environnement fut accusée de mettre des emplois en péril. Les acteurs économiques et sociaux ont ainsi craint que l’intégration des questions écologiques ne réduise la croissance économique et remette en cause le compromis économique et social si difficilement obtenu. Pourtant, les populations les plus précaires sont les premières victimes de la dégradation du cadre de vie, des pollutions (eau, air…).
Néanmoins, ce nouvel antagonisme qui dure depuis 40 ans a trouvé deux réponses. D’abord, les pays industriels, les plus attentifs aux questions environnementales, gagnent des parts de marché en proposant des équipements plus fiables et moins polluants. Il s’agit surtout de l’Allemagne, du Japon et des pays scandinaves. Ensuite, le rapport Brundtland des Nations Unies a démontré en 1987 que si l’environnement de la planète est dégradé et les ressources dilapidées, c’est le processus même du développement économique et social qui sera bloqué.
Le développement durable représente ainsi :
– la volonté de conjuguer trois objectifs : celui du développement économique, de l’amélioration des conditions sociales pour tous les peuples et des plus démunis, et la pérennité des conditions de vie sur terre.
– l’affirmation du principe de solidarité obligatoire dans le temps, entre territoires et entre générations :
« Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »
Telle est la définition du développement durable portée par le rapport Brundtland en 1987.
Il est aujourd’hui essentiel de réinterroger cette évolution à la lumière des vingt dernières années.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à de grands bouleversements. La mondialisation de l’économie intègre des populations nombreuses dans la société industrielle et provoque une déstabilisation des systèmes de protection sociale. Dans un contexte de globalisation des échanges économiques à l’échelle mondiale, nous devons faire face aux limites de cette notre planète : celle de certaines ressources minérales et énergétiques et celle de la capacité de son environnement à supporter les activités d’une humanité dont la population devrait être multipliée par 10 entre 1800 et 2050.
Cette prise de conscience est encore partielle ; la part restante des ressources des différentes matières premières reste mal connue et il est difficile d’évaluer à quelle échéance elles deviendront rares, le rythme de renchérissement de leur coût d’accès et le niveau des besoins futurs de l’humanité. Pour de nombreuses ressources, à commencer par le pétrole, le milieu du siècle sera critique.
Le verdict est simple : les ressources limitées de notre planète ne permettent d’envisager leur accès équitable et durable à tous, dans un contexte de croissance de la pression sur les ressources et sur l’environnement tandis que les inégalités continueraient de se creuser.
Le fonctionnement de l’économie et des sociétés est appelé à évoluer en profondeur.
2. Les contraintes environnementales d’un monde fini
Les transformations que l’activité humaine induit sur son environnement deviennent néfastes pour le développement humain, qu’il s’agisse des pollutions ayant des effets directs sur la santé, ou de celles, moins visibles, qui perturbent l’environnement global. Leurs manifestations les plus graves sont le changement climatique et l’érosion de la biodiversité. Ces deux phénomènes marquent une limite que devra dorénavant scrupuleusement prendre en compte l’humanité.
En tant qu’ensemble unique, indivisible, qui ignore les frontières, le climat terrestre représente la première question environnementale planétaire qui impose, de manière obligatoire, une action solidaire. En France, la moitié des émissions de gaz à effet de serre provient des activités de ses habitants dans leur vie privée : le chauffage domestique, les déplacements notamment en voiture, les pratiques alimentaires et les divers actes de consommation. Cela signifie que la question du changement climatique ne pourra pas être résolue sans obtenir l’adhésion de chaque personne. Dès lors, la question climatique s’avère être la première question politique « totale » de l’histoire humaine car elle nécessite une implication qui s’étend du niveau individuel à celui de la gouvernance planétaire.
Moins visible, l’érosion accélérée de la biodiversité constitue un processus aussi grave que le changement climatique, tout aussi planétaire et probablement plus irréversible encore. Cette érosion ne se traduit pas seulement par une liste d’espèces en voie de disparition. Elle entraîne aussi la dégradation des écosystèmes, des fonctions que ces derniers exercent dans le système vivant planétaire et donc des services qu’ils rendent à l’humanité (approvisionnement en eau et alimentation, en matières premières,…
3. L’obligation et l’opportunité démocratique
Si classiquement, le développement durable est basé sur les 3 composantes : économie, environnement et social, cette description s’avère insuffisante dès lors que l’on en appelle à une évolution profonde des comportements individuels. En fait, dès la conférence de Rio en 1992, une 4ème composante fondamentale du développement durable a été aussi reconnue : la gouvernance. L’accent ainsi mis sur la question démocratique a résulté de trois constats :
- D’abord, au niveau international, il n’y aura pas d’accord sur la gestion de l’environnement sans la perspective d’un développement réussi pour tous les pays, y compris les plus vulnérables. La question de l’équité et de la lutte contre la pauvreté est centrale.
- La lutte contre le changement climatique ne pourra réussir qu’à la condition de la mise en place d’instances de décision au plan international avec des engagements des pays effectivement suivis d’effet. Cela impliquera que les Nations unies disposent d’un pouvoir économique de sanction. Ces enjeux seront au cœur de la préparation de la prochaine conférence qui aura lieu en 2012, à Rio de Janeiro.
- Ensuite, la réduction de la ponction des ressources et de la pression sur l’environnement exige une évolution importante des comportements individuels. Or, celui-ci ne pourra être durablement obtenu sans un grand progrès éducatif, sans une profonde adhésion des personnes, donc sans leur implication directe dans les décisions. Il faut avancer vers une démocratie de co-construction qui implique les parties prenantes très en amont, dans la construction même des solutions.
4. L’urgence d’un nouveau mode de développement
2050 constitue une échéance centrale. Avec trois rendez-vous : la fin de la croissance démographique de l’humanité, la nécessité de diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre et le déclin de certaines ressources, notamment énergétiques.
Une nouvelle vision du monde émerge, celle d’une humanité qui va, pendant des siècles et peut-être des millénaires, devoir assurer son développement en trouvant un équilibre avec sa planète, en la protégeant, en résolvant les écarts dramatiques de développement entre les différentes régions du globe, hérités du XXème siècle. L’humanité est « mariée » à sa planète. Leurs destins sont liés. Elle devra vivre des siècles durant, sur des ressources finies, qu’elle devra épargner et recycler. Elle devra convertir son économie en la fondant sur les ressources biologiques et les énergies renouvelables.
De cela émerge la valeur centrale qui sera celle de ce siècle, celle qui va conditionner la cohésion sociale et la paix elle-même : c’est l’optimisation de l’utilisation des ressources. C’est la nouvelle définition du progrès. Cela va impliquer de privilégier les ressources biologiques et les énergies renouvelables.
Cette mutation vers un nouveau mode de développement ne sera possible que dans le cadre d’une régulation économique qui replace comme principe fondamental l’intérêt général. D’ailleurs au moins quatre questions cruciales ne sont plus aujourd’hui solubles individuellement par chaque Etat du fait de la mondialisation : les questions écologiques globales (climat, biodiversité), la gestion des ressources énergétiques et des matières premières épuisables, la maîtrise des échanges financiers puisque les transferts d’argent par voie électronique ignorent les frontières et enfin la protection sociale puisque les salariés de certains pays, dont les productions sont écoulées dans le monde entier, en sont démunis.
Jamais, le concept de développement durable n’a été aussi central, car cette régulation mondiale doit, dans un même cadre de cohérence, à la fois apporter des réponses à la crise financière et économique, élaborer des droits sociaux universels et organiser la gestion collective de la planète, ce que l’économie de marché n’est pas en mesure de réaliser à elle seule.
5. Le rôle des collectivités territoriales dans l’avancée vers ce nouveau mode de développement
Les défis qui précèdent positionnent la ville comme moteur pour inventer une gouvernance nouvelle à la hauteur de ces enjeux. Le monde change, la ville doit changer aussi et les collectivités locales vont jouer le rôle central de la construction d’un nouveau mode de développement :
- Elles décident des investissements à très long terme : les bâtiments, les infrastructures de transports, les grands réseaux ;
- Elles répartissent les activités sur le territoire, et sont ainsi en capacité de réduire les contraintes de transport et d’organiser l’aménagement du territoire ;
- Elles sont en prise avec les besoins sociaux et l’organisation des solidarités ;
- Elles sont enfin et surtout en contact direct avec le citoyen.
Leur implication est essentielle pour élaborer avec les acteurs économiques et les citoyens les voies pour avancer vers un développement durable et lutter contre le changement climatique. L’Agenda 21[1], adopté lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, fait référence pour les Etats, les institutions, et les différents acteurs économiques et sociaux. Si les Etats sont incités à décider des stratégies adéquates, les collectivités territoriales, de tout pays, sont en charge de la mise en œuvre concrète et sont donc appelées à mettre en place des agendas 21 locaux. Le chapitre 28 de la Déclaration de Rio valorise notamment leur capacité à relever le défi démocratique :
« Elles jouent, au niveau administratif le plus proche de la population, un rôle essentiel dans l’éducation, la mobilisation et la prise en compte des vues du public en faveur d’un développement durable. »
Ainsi la Charte de Curitiba de 1992[2], adoptée par 300 villes du monde, précise la réalisation d’agendas 21 locaux. En Europe, cette dynamique fut renforcée par l’engagement des villes pour la durabilité avec la charte d’Aalborg en 1994. Par ces engagements, les villes cherchent à stimuler les processus décisionnels par un recours accru à la démocratie participative, à mobiliser le plus largement possible les citoyens.
6. Vers une société relationnelle
La vision jusqu’alors imaginée d’un développement durable, atour de ses quatre composantes (économie, environnement, social et gouvernance), ne suffit pas. Les Etats, collectivités publiques, entreprises et citoyens, se trouvent face à de nouvelles contraintes et obligations pour assurer un équilibre environnemental et garantir les conditions de développement des générations futures.
La vision d’un développement durable ne comporte pourtant pas encore en contrepartie une promesse à la personne, une vision de ce que peut être une vie réussie pour tous dans ce nouveau contexte. C’est pourquoi le développement durable peut être perçu comme intellectuel et froid, trop conceptuel, et ne suscite guère l’enthousiasme, même s‘il est maintenant au cœur de tous les discours politiques. Il faut donc s’interroger sur la nature de cette nouvelle perspective de réussite de vie, alors même que les promesses excessives et souvent irréalisables de la société de consommation sont à remettre en cause.
La revalorisation, des relations entre les individus, et de l’intérêt général (territorial et planétaire) pour les individus, est une condition essentielle pour un développement durable. Cela implique une transition culturelle, et nous invite à mieux considérer les atouts et richesses actuelles.
Chacun d’entre nous avec son téléphone portable et Internet a la faculté dans sa vie d’avoir accès à plus de personnes, plus de connaissances et à plus d’expression culturelle que toutes les générations précédentes. Un nouvel horizon s’ouvre. La communication, la culture, l’accès aux autres constituent la nouvelle voie de développement, le nouveau champ d’expansion de l’aventure humaine. Il s’agit là d’une transformation qui va complètement transformer l’humanité. Si les ressources deviennent de plus en plus rares et leurs quantités disponibles limitées, les relations humaines sont, elles, sans limite. Nos capacités relationnelles se sont décuplées avec le développement et la diffusion massive des technologies de l’information et de la communication. Ainsi, iI y a un infini dans un monde fini : celui de la relation à l’autre. Il s’agit là de véritables atouts pour la connaissance comme pour la démocratie.
Pour que le développement durable intègre cette nouvelle voie d’expansion de l’humanité, une 5ème composante est à intégrer, celle de l’expression culturelle.
Les relations humaines s’expriment et se cultivent au sein du monde du travail et dans nos relations économiques en général. De ce point de vue, les initiatives qui relèvent de l’économie sociale et solidaire offre une alternative concrète aux logiques de concurrence qui s’étende aux individus.
L’affirmation et la traduction en droits et règles de fonctionnement des principes de coopération et d’entraide, comme des valeurs de solidarité et de respect, seront à la base d’une société relationnelle.
La transition vers une ville durable est progressive, se réalisera sur la base de connaissances partagées. L’expression de chacun et la circulation de l’information pour tous est capitale. L’action publique se doit d’accompagner cette transition. En effet, d’abord, parce que les obstacles aux changements sont nombreux, et souvent liés à notre psychologie : habitudes, urgence du quotidien, angoisse face à un avenir incertain et aux difficultés économiques. La crise économique, et la précarisation, relèguent au second plan les préoccupations globales et affaiblissent la capacité d’action citoyenne. Ensuite, parce que certaines contradictions sont difficiles à gérer! Les principes liés à un développement durable : solidarité, équité, efficacité, sobriété, cohérence… entrent pour le moment en contradiction avec nos modes de vie, nos représentations de la réussite, du bien être, ou encore de la richesse.
Le développement durable consiste dès lors à basculer d’une société de consommation particulièrement prédatrice envers la planète à une société relationnelle, plus légère, mais qui ouvre de nouvelles perspectives d’enrichissement personnel à travers la relation humaine, la connaissance et l’expression personnelle.
[1] Le programme Action 21 est consultable sur le site des Nations unies : http://www.un.org/french/events/rio92/agenda21/action0.htm
[2] A Rio en 1992, 300 villes et autorités locales ont adopté une Déclaration commune et un « Engagement en matière de développement viable ».