La vie (extra)ordinaire d’Alice

A travers le thème de la technologie, l’auteur nous emmène découvrir la vie (extra)ordinaire d’Alice, journaliste scientifique de renommée mondiale. On découvre dans ce récit un monde ou la technologie est porteuse d’innombrables opportunités, mais dont les dérives existent déjà bel et bien.

L’exigence pour Alice et sa famille était de diminuer leurs déplacements longue durée. Un équilibre à trouver avec le nouveau champ d’expansion qu’ils ont investi : la communication virtuelle.

Et pour lire l’interview de l’auteur, c’est ici

 

17 juillet 2050

atelierSite

6h00

              La chambre était plongée dans une obscurité partielle. Alice se réveillait doucement. Elle savait que la pièce modifiait l’atmosphère automatiquement pour que tout le monde se lève parfaitement en forme. Et son application  smartphone lui indiquait les phases de sommeil pour se coucher et se réveiller. Et elle avait développé une capacité à se lever, sans éprouver l’épuisement matinal qu’on ressentait souvent. Elle s’était habituée à se lever avant tout le monde.

Elle aimait ses moments où elle entendait la maison se maintenir dans un silence apaisant. Où elle sentait que tout le monde dormait. En ce jour de juillet, elle voyait déjà par la grande fenêtre le soleil entrer dans l’appartement. Aujourd’hui allait être une belle journée, longue et ensoleillée. Elle se souvient du moment où ils avaient emménagés dans cette grande bâtisse. Sa rénovation pour la transformer véritablement en maison connectée s’était entamée lorsqu’Alice avait emménagé avec son mari Marius. L’électricité non dépensée était redistribuée autour du quartier, créant un ensemble connecté. Tout l’équipement des pièces était cependant fait de telle sorte qu’il soit le moins énergivore possible.

Elle pénétra dans la salle de bain, et le miroir lui donna son poids, sa taille et son rythme cardiaque. Elle était en pleine forme. Avec le temps, elle s’efforçait de se maintenir dans une bonne condition physique. La blondeur de ses cheveux, teintée de blanc, lui rappelait qu’elle n’avait plus vingt ans. Mais elle évitait les aliments gras que pouvaient lui proscrire l’écran de son frigo, et pratiquait beaucoup la natation et la danse classique. Maintenant, son miroir, et sa famille le lui rappelaient, elle avait maigrit. Elle avait changé. Plus sûre d’elle. Plus extravertie. Même si elle ne se considérait toujours pas exactement comme elle l’aurait souhaité. On n’est jamais ce qu’on le souhaite vraiment être, s’aimait-elle répéter.

Après avoir consulté ses mails sur son smartphone, Alice entama la lecture d’un roman dans le canapé, tandis que la machine à café se mit à couler automatiquement en détectant sa présence. Elle était plongée dans sa lecture, lorsqu’elle entendit à l’étage Lina se réveiller. C’était la fille au pair, venant de Thaïlande, qui était là pour deux ans. Son français était parfait. Et c’est pour cela, qu’elle travaillait à mi-temps pour Alice et son mari.  Et également dans un bar à vin situé non loin de leur domicile.

Alice connaissait d’ailleurs bien les personnes qui y venaient. La communauté faisait partie intégrante de sa vie. Elle s’engageait dans des associations de quartier. Elle aimait se sentir dans une société à l’opposition de l’individualisme qu’avaient connu ses parents. Elle détestait l’idée de connaître la solitude urbaine qui envahissait auparavant les villes.

En ce jour d’été, et bien que la température annoncée sur sa montre connectée indiquait une journée caniculaire, elle se sentait bien. Prête à faire face aux événements qui s’annonçaient.

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08H00

Alice prit le métro rapide  pour faire le trajet jusqu’au parc de Bercy. Elle sentit le soleil, de plus en plus chaud. Mais avec le temps, elle avait fini par s’habituer à ce climat. Elle avait rendez-vous avec une association prônant la digital detox, une utilisation raisonnée et raisonnable des produits technologiques. Elle était loin de ses conférences, qu’elle avait en tant que journaliste scientifique. Mais au fil des années, elle s’était rendu compte de son addiction. A son smartphone, à sa montre, à Internet, et même à son miroir. Elle se souvenait même des défis qu’elle se lançait avec la jeune fille au pair, Lina pour savoir laquelle aurait la meilleure forme physique.

Avec le temps, elle  s’était rendu compte qu’elle avait besoin de décrocher. Elle avait besoin de vivre sans être rivée à une technologie qui semblait l’asservir. Au fil des années, la déconnexion comme aimait dire les politiques était devenue une question de santé publique. Nombreux étaient les hôpitaux proposant des psychothérapies capables de nous faire utiliser les technologies sans devenir complètement accrocs. Ou les voyages où le réseau était volontairement interrompu. Cette sorte d’éco-tourisme n’emballait guère Alice.

Elle préférait de loin ses réunions où on confisquait les téléphones portables et autres tablettes, pour vraiment se retrouver dans la nature. En mangeant bio et local, comme elle le faisait très régulièrement dans son quartier. En faisant des ateliers créatifs, ou même en écoutant des groupes de musique, eux-mêmes adeptes de la digital detox. Elle se souvenait encore du temps où tout le monde sortait son téléphone pour filmer lors des concerts. Cette attitude s’était ringardisée avec le temps.

L’idée des créateurs de la digital detox était plus de créer une communauté débarrassée de leurs technologies qui coupent la communication. Et de retrouver un véritable lien social. A la fin, les objets étaient redistribués.

Alice regardait de loin les casiers.

Elle appréhendait beaucoup ces moments avant de se séparer de son téléphone et de sa montre.

Tous ces gestes, bien que répétés, lui procurait un stress qu’elle ne pouvait refréner. 

Prendre son portable et sa montre, les déposer dans le casier à son nom, attendre que tout le monde ait terminé de le faire. Tout ça prenait du temps. Elle était presque en manque quand elle apercevait toutes ces personnes qui arrivaient près du vestiaire, alors qu’elle-même avait déjà déposé les objets.

Mais cette sensation s’estompait rapidement tandis qu’elle se retrouvait avec son petit groupe. Elle avait fait du vélo, joué aux échecs et au badminton… Elle revoyait d’ailleurs souvent des personnes du groupe en dehors de l’atelier.

Avec le temps, la communauté s’étant considérablement agrandie – ils étaient plus de 300 – si bien qu’on avait divisé les personnes en groupe, parfois Alice retrouvait les mêmes personnes, et à d’autres moments elle en rencontrait de nouveaux. Les activités proposées étaient variées, capable de répondre aux goûts de chacun. Il y avait même une boite à idées, comme dans la plupart des entreprises, pour améliorer des activités ou en proposer d’autres.

Après le repas du midi, elle allait de nouveau bien. Elle ne ressentait plus la pesanteur de l’addiction à ces machines.  Et elle avait même hâte de retourner la semaine suivante dans l’atelier.

13H00

Alice prit le train de 13H00 de la gare du Nord, pour rejoindre Berlin où elle donnait une conférence scientifique sur les avancées technologiques depuis le début du XXIème siècle.

Elle se remémorait les moments de la génération de ses parents, avec les 35 heures, avec horaires fixes, les transports en commun bondés.

En 2050, en France, près de 50% de la population active travaillait en permanence en télétravail.

Pour les personnes qui ne travaillaient pas chez elles, des horaires décalés étaient aménagés. Les bureaux étaient plus petits, et donc moins chers pour les entreprises capables d’investir davantage dans autre chose. On faisait pratiquement toutes les réunions via visioconférence. D’ailleurs, les horaires se faisaient en fonction des besoins de l’entreprise. Aussi, l’économie était devenue de plus en plus collaborative. Alice appartenait ainsi à un réseau social regroupant des scientifiques du monde entier, qui partageaient leurs connaissances dans différents domaines.

Lorsqu’elle sortit de la gare, elle sentit la chape de plomb lui tomber sur les épaules. Berlin semblait être devenue une ville aussi ensoleillée et étouffante que Paris.  Heureusement, elle héla un taxi qui passait devant elle.

Alice trouvait les conférences intéressantes pour se challenger. Les MOOC s’étaient généralisés mais elle aimait se retrouver devant cette foule qui scrutait le moindre de ses gestes, chacune de ses phrases. C’était un peu dépassé cette notion de conférence dans la vraie vie. Mais elle n’aimait pas quand le progrès technique remplaçait tout.

Elle appréhendait toujours avant, derrière la porte qui menait à la salle. Toutes ces années de psychothérapie, de coaching pour parler devant un public, et de théâtre avaient finalement fait d’elle une femme plus à l’aise avec elle-même, bien qu’elle avait conscience de ses fragilités. Elle consulta nerveusement sa montre, alors qu’elle savait qu’elle avait de l’avance. Certaines habitudes sont tenaces, se dit-elle. CLOUDOK

Elle portait ses nouvelles lentilles qui venaient juste de sortir. On n’avait plus besoin de notes pour tout se souvenir, la lentille marquant directement le texte de manière synthétique.

Elle se lança dans l’arène, en ouvrant la porte d’un geste sec, presque saccadé.

Les personnes présentes venaient d’Allemagne et portaient une oreillette qui traduisait automatiquement les paroles en français d’Alice, et vice-versa de l’allemand au français.

–         Qui se souvient encore de ce moment où l’on utilisait encore les énergies fossiles? Où le plastique n’était pas recyclable à l’infini? Même si nous n’avons pas fait d’aujourd’hui, un monde parfait, il faut avoir conscience du chemin parcouru. De ce que le progrès technique nous a apporté. Je me rappelle encore le moment où le peakoil n’était pas encore atteint, qu’on se demandait si les réserves de pétrole allaient être suffisantes pour l’année. Il faut se rendre compte de tout cela. Et cela, bien qu’aujourd’hui de nombreux défis restent à notre portée, comme la réduction de la pauvreté, ou les problèmes de chômage à cause de la robotisation.

Lors de son discours, plus les minutes s’égrenaient, et plus elle se sentait à l’aise. Elle aimait à observer les personnes dans la salle, se rappelant les cours pour analyser le verbal et le non-verbal. Elle savait si ce qu’elle disait passionnait ou non son auditoire. Elle le sentait. Elle le voyait. Et ce n’était pas un cours magistral, elle s’interrompait pour faire intervenir les personnes qui levaient la main.

 L’interactivité permettait de rendre sa conférence vivante, attractive, et pas juste comme un bloc monolithique récitant un discours ennuyeux.

A la fin de son speech, elle remercia son auditoire.

Et elle fut vigoureusement applaudit.

 

Rencontre avec Mathieu

Il s’agissait lors de l’atelier d’imaginer une histoire se déroulant en 2050, vous pouviez donc tout imaginer. Comment vous est venu l’idée du personnage d’Alice, et sa vie (extra)ordinaire ?

Alice est un personnage qui se pose des questions sur elle-même. En cela, elle nous ressemble, car elle fait beaucoup preuve d’introspection. Je voulais me mettre dans la peau d’un personnage qui doute, et qui peut parfois être aidé par des technologies, qui peuvent aussi améliorer l’environnement.

Comment Alice gère-t-elle d’être à la fois une spécialiste des nouvelles technologies et à la fois une accro maladive à la technologie ?

Je ne pense pas qu’elle soit spécialiste, mais qu’elle utilise des ressources qu’on lui donne. C’est en fait une question d’équilibre, de ne pas se sentir trop dépendant d’une technologie. Je me suis inspiré d’un documentaire sur la digital detox, où un journaliste avait passé 90 jours sans Internet. Cela questionne notre rapport aux nouvelles technologies, et au fait qu’on soit accro. Il y avait un passage à San Francisco, où une soirée était organisée, et où les gens devaient déposer leur téléphone. Ils étaient donc obligés de discuter avec les autres, sans être dépendant d’une technologie.

La dépendance à la technologie est devenue dans votre texte une question de santé publique (avec psychothérapie, cure de désintoxication…), pensez-vous que l’on se dirige aujourd’hui vers cette société-là ?

Il existe déjà des psychologues spécialisés dans les addictions aux nouvelles technologies, et notamment aux jeux vidéo et à internet. Mais je pense que nous n’en parlons pas assez, et qu’à l’avenir cela pourrait poser des problèmes importants.

On comprend à la fin du récit qu’en 2050, malgré tous les progrès et toute la technologie dont on dispose, les problèmes sociétaux d’aujourd’hui (chômage, pauvreté..) existent encore. Pensez-vous que ce sera réellement le cas ?

Oui, je pense que les problèmes seront toujours présents. Je ne pense pas que le futur changera tout, mais j’espère qu’il aidera à nous rendre compte de certaines situations. La pauvreté et le chômage sont difficiles à enrayer (il suffit de lire l’ouvrage d’Esther Duflo, Repenser la pauvreté, essai sur l’économie du développement, pour s’en rendre compte), et ils ne pourront pas se résoudre du jour au lendemain. D’autres questions peuvent s’y ajouter, comme les inégalités, ou le respect de la vie privée.

La problématique de ce récit était relative à la question de la consommation durable. Pour en savoir plus sur notre travail à ce propos, cliquez ici

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