Climat : alerte au méthane

« La responsabilité du méthane dans le réchauffement n’est pas actuellement de l’ordre de 15% (…) mais plutôt du double », ont constaté Benjamin Dessus et Bernard Laponche à la lecture du résumé du rapport du Giec qui vient de paraître. Et parmi les principales sources de méthane, on trouve… l’exploitation des gaz de schiste.

Cet article a été publié dans Médiapart, le 1er octobre

Benjamin Dessus et Bernard Laponche  sont tous les deux membres fondateurs de l’association Global Chance.

Le « résumé pour décideurs » du groupe 1 du Giec qui vient de paraître (à consulter ici) a fait la Une de nombreux journaux. Ce résumé nous apprend que le forçage radiatif (1) supplémentaire de l’ensemble des gaz à effet de serre émis par l’homme (CO2, CH4, N2O et halo-carbones) (3) entre 1750 et 2011 atteindrait 3W par m2. Sans surprise, le gaz carbonique CO2, résultat de la combustion des combustibles fossiles et de la déforestation, avec 1,68 W par m2, reste le premier responsable du réchauffement (56%). Par contre, on y apprend que le forçage supplémentaire du méthane sur la même période est de 0,97 W par m2 soit 32% du forçage total. C’est deux fois plus que ne le laisserait penser la simple prise en compte de sa concentration dans l’atmosphère et deux fois plus que ce qu’estimait le Giec dans son rapport précédent (3) où il ne comptait que pour 0,48 par m2.

Cette information semble être passée pratiquement inaperçue : elle est pourtant majeure puisqu’elle indique que la responsabilité du méthane dans le réchauffement n’est pas actuellement de l’ordre de 15% comme l’annonçait le rapport du Giec en 2007 mais plutôt du double. D’autant que la concentration du méthane dans l’atmosphère, qui avait peu évolué depuis le début des années 90 jusqu’en 2005, semble accélérer depuis cette époque.

Dans les années 2000, il était généralement admis que les émissions mondiales de méthane, de l’ordre de 360 millions de tonnes (4), provenaient pour environ 38% de l’agriculture irriguée et de l’élevage des bovins, pour 33% des émissions fugitives du système énergétique fossile, 23% de la fermentation des déchets agricoles et ménagers et enfin 6% des feux de forêt. Et parmi ces fuites du système énergétique, on attribuait une trentaine de millions de tonnes aux fuites de méthane (CH4) du système gazier, sur la base de taux de fuites de 1 à 2% selon les pays (1,5% des 2 000 millions de tonnes de CH4 mondialement produits par an).

Cette situation risque d’empirer rapidement avec le développement inconsidéré des gaz de schistes, d’abord aux Etats-Unis et peut-être bientôt ailleurs.

Les dernières mesures de fuites de méthane effectuées sur des champs gaziers aux Etas-Unis à partir de campagnes aériennes (5) donnent en effet des résultats très préoccupants : 6% à 12% de la production des champs de gaz de schiste fuirait vers l’atmosphère. Si des fuites de cette importance se confirmaient sur d’autres champs gaziers, les conséquences sur les émissions totales de méthane mondiales deviendraient très importantes.

La production de gaz de schiste aux Etas-Unis atteignait en effet déjà environ 150 millions de tonnes de CH4 en 2011. Même pour des fuites qui se situeraient dans le bas de la fourchette (6%), les émissions mondiales du système gazier se verraient augmentées de 30% par cette seule production et les émissions mondiales de méthane tous secteurs confondus de près de 3%. On n’ose imaginer les conséquences du développement international intense de production de gaz de schiste que prône un organisme comme l’AIE qui envisage une production mondiale de gaz de schiste de l’ordre de cinq fois la production actuelle dans moins de 20 ans, avec la perspective d’augmenter les émissions mondiales de méthane de 15% à 20%.

Depuis plus de cinq ans, quelques climatologues et quelques experts de l’énergie (6) ont essayé de faire prendre conscience à la communauté scientifique comme aux décideurs politiques ou aux médias de l’importance de cette question du méthane pour le climat, malheureusement sans beaucoup de succès. C’est d’autant plus dommage que de nombreuses actions de prévention des émissions de méthane sont à portée de la main, économiquement rentables et procurent dans de nombreux cas une source d’énergie locale qui manque parfois cruellement (par exemple par récupération du méthane des déchets agricoles et domestiques).

Comme nous le laisse entendre discrètement le GIEC aujourd’hui, la question du méthane apparaît comme encore plus cruciale pour l’avenir du climat. Il devient en tout cas urgent, d’une part de réagir vivement aux discours des promoteurs de l’exploitation à tout va des gaz de schistes qui affirment sans vergogne participer ainsi activement à la transition énergétique et d’autre part de définir des objectifs et un calendrier spécifiques de réduction des émissions de méthane pays par pays, secteur par secteur.

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(1) Le forçage radiatif mesure le flux d’énergie par m2 apporté à l’atmosphère par chacun des gaz responsable de l’effet de serre.
(2) Les Halo-carbones comprennent dans le document du GIEC : O3, CFCs, HFCs
(3) Cette nouvelle estimation prend en effet en compte l’influence des émissions de CH4 sur l’ozone et la vapeur d’eau stratosphériques.
(4) Réduire le méthane : l’autre défi du changement climatique, Benjamin Dessus et Bernard Laponche, document de travail 68 AFD
(5) Methane emissions estimate from airborne measurements over a western United States natural gas field, Anna Karion et al, Geophysical Research Letters, Vol. 40, 1–5, doi:10.1002/grl.50811, 2013.
(6) Voir par exemple : Benjamin Dessus, Bernard Laponche , Hervé Le Treut, Réchauffement climatique : importance du méthane, La Recherche 2008 Paris.

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