La publication d’une dizaine de fiches Archipel des régions donne un panorama de la prise en charge du développement durable dans les régions françaises. Chacune témoigne de la progression ou des difficultés auxquelles sont confrontées les territoires sur la réponse à des enjeux spécifiques : maitrise foncière, qualité de l’eau, transition énergétique, cohésion sociale, planification urbaine et démocratie, tourisme durable, TIC, agriculture durable, éducation et citoyenneté, valorisation de la biodiversité, gestion du littoral, réindustrialisation écologique, santé…
Par Ana Hours
De façon générale on constate une volonté partagée, au moins dans les discours, de territorialiser le développement durable. Dans certaines régions il fait l’objet d’une volonté politique forte et d’une stratégie intégrée de la part de l’institution régionale. C’est le cas en Nord-Pas-de Calais par exemple, où le Conseil régional via sa politique foncière et ses Directives Régionales d’Aménagement (DRA), l’une concernant la lutte contre la périurbanisation, l’autre les trames vertes et bleues, travaille à répondre aux enjeux de maitrise foncière. On peut également citer le cas de la Bretagne dont la vitalité associative, qui s’appuie sur des ferments identitaires profonds, est pour beaucoup dans le dynamisme régional en matière de développement durable. Mais les Conseils régionaux sont également soucieux d’afficher leurs engagements voire même de signifier qu’ils irriguent l’ensemble de leurs politiques, en témoigne par exemple le site internet de la Région Poitou-Charentes dont les intitulés sont parlants : croissance verte et emploi, énergies renouvelables, biodiversité et eau…
Ainsi on constate que dans bien des cas le développement durable est perçu comme une opportunité notamment de sortie de crise. C’est par exemple le cas en Lorraine où la réindustrialisation écologique, si elle n’est pas identifiée comme une priorité régionale, n’en reste pas moins l’objet d’initiatives relativement éparses mais nombreuses : développement de l’écologie industrielle, mise en place d’une filière du recyclage, valorisation industrielle du bois et structuration de la filière… Là aussi on perçoit qu’une prise de conscience partagée de ce qu’il y a là peut-être une réponse à apporter à la déshérence industrielle de ce territoire se confirme. C’est même perçu par certains acteurs (Carrefour des pays lorrains, mission prospective du Conseil régional) comme un enjeu d’avenir prioritaire pour ce territoire. C’est également le cas de La Réunion sur la question de la valorisation de son patrimoine naturel exceptionnel. La volonté de préservation du patrimoine naturel de l’île a donné lieu à la création en 2007 d’un Parc national couvrant la partie centrale de l’île sur plus 100 000 hectares de forêt publique, soit 40% du territoire. La création de ce Parc national fut la reconnaissance du travail accompli par le Conseil général et les forestiers de l’ONF (Office National des Forêts) en termes de préservation et de conservation depuis des décennies.
Dans d’autres cas, les enjeux qui ont été choisis pour illustrer la région font l’objet d’une prise en charge beaucoup plus conflictuelle : la question de l’eau en Bretagne, de l’agriculture durable en région Centre, de la cohésion sociale en Nouvelle Calédonie. Dans ces régions la crispation autour de ces enjeux centraux rend difficile l’avènement d’une parole partagée entre acteurs. Ainsi le combat pour la qualité de l’eau en Bretagne rebondit sur la mutation nécessaire du complexe agro-alimentaire. La cohérence d’une filière alimentaire construite au cours de plusieurs décades est difficile à ébranler et pourtant chacun est conscient qu’il faut changer, y compris le consommateur avide de circuits courts et de qualité. Il faut une volonté politique unanime et des moyens de financement massifs. La lenteur des progrès en Bretagne renvoie à l’incohérence des politiques commerciale, environnementale et agricole au niveau européen comme au niveau national et signe l’absence de détermination partagée à conduire les transformations nécessaires.
Certains enjeux ont été choisis pour leur caractère innovant. Le développement des TIC fortement soutenu par le Conseil régional de l’Auvergne est une réponse à l’enclavement de certaines parties du territoire régional. Il permet par exemple un meilleur accès aux services publics via la mise en place de points visio-publics : Pôle emploi, CAF, MSA, URSSAF. La maîtrise ou la non maîtrise de l’outil numérique ne doit pourtant pas créer de nouvelles disparités entre les personnes. Les citoyens ont ainsi accès à une forme de « service public du numérique » concrétisé par les Espaces Publics Numériques (EPN), conçus comme des lieux d’apprentissage, de sensibilisation et d’expérimentation des usages numériques. Au-delà du cas auvergnat, le développement équilibré des territoires est une préoccupation partagée par bien des territoires.
C’est le défi posé en Languedoc-Roussillon pour la gestion de sa zone littorale. Les mesures de protections ont été souvent la méthode choisie pour réguler une concurrence sur l’espace exacerbée par l’anticipation du changement climatique et gérer les conflits qu’elle génère : protection contre les risques, protection contre l’urbanisation envahissante et protection de la biodiversité et des habitats nécessaire à son maintien.
C’est également cet objectif de développement équilibré qui guide la région PACA dans la recherche de maitrise des flux touristiques et du développement du tourisme responsable. Le tourisme structure les rythmes locaux, par sa saisonnalité, son intensité, ses implications en termes de transport et de logement. Il démultiplie les opportunités d’échanges culturels, et finalement, devient une composante du mode de vie. Mais il reconfigure également les inégalités sociales et territoriales : entre territoires saturés en haute saison, vides en basse saison ; entre territoires attractifs et ceux qui le sont moins, entre des populations locales et des résident temporaires ; entre des actifs et des touristes-consommateurs… Le développement du tourisme responsable passe par la maîtrise du flux des populations, par la formation des acteurs du secteur, mais également par la participation des habitants en associant vie locale et projets touristiques. Là encore la nécessité de mettre les habitants au centre est un facteur clé de succès.
De façon générale la question démocratique apparait bien comme une condition indépassable de la réussite des projets de développement durable. Les acteurs de la région Poitou-Charentes font de l’apprentissage à la participation citoyenne et à la connaissance des enjeux environnementaux des préalables nécessaires à leur intégration dans les processus de décision. En Rhône Alpes, par exemple, territoire en première ligne de la transition énergétique, le débat est nécessaire, pour une prise de conscience mettant en évidence les avantages et les risques des différentes sources d’énergie. Le nucléaire, les possibilités de sortie du nucléaire sont au centre des débats. C’est pour cette région une question de gestion et d’acceptation du risque, mais également une question d’emplois, avec entre 20 et 30000 emplois de la filière nucléaire. La transition énergétique ne peut que composer avec cette réalité socio-économique. Sur un autre versant, celui de la planification urbaine, en proie comme pour celui de l’énergie, au risque d’une technicisation du débat, le partage de la décision est indispensable. La Région Ile-de-France dans l’exercice de refonte de son schéma directeur, le SDRIF, a expérimenté un exercice de co-construction à une échelle qui ne s’y prête guère. La démarche partenariale conduite par le Conseil régional s’est attachée à développer de nouvelles formes de dialogue dans un cadre participatif. Cette concertation s’est appuyée sur une double échelle de dialogue : régionale au travers d’ateliers thématiques et infra-régionale au travers d’ateliers territoriaux. Les ateliers étaient ouverts aux professionnels de l’aménagement mais aussi aux élus, aux acteurs de la société civile et aux associations. L’usage des outils de planification en est profondément renouvelé. Pouvoir par exemple disposer en version numérique de toutes les cartes, modifie en profondeur la nature du document. Il n’est plus inaccessible ; il devient transparent et facile d’accès. C’est la planification qui change. Son efficacité peut s’en trouver améliorée grâce à la concertation.
Dans le contexte actuel de mise en mouvement des politiques publiques vers le développement durable, le territoire ne se réduit pas à un simple échelon spatio-administratif, mais s’impose plus encore comme un processus de construction sociale permanent, un espace de négociation et d’élaboration de lignes communes pour définir une action publique adaptée aux contraintes et aux ressources locales. Dès lors, pour bâtir cette action publique en regard des enjeux de développement durable, il s’agit d’identifier et de définir de nouveaux processus d’élaboration, de nouveaux lieux de la participation, de nouvelles techniques d’action et de décision… et ainsi mettre en mouvement toutes les forces vives du territoire afin de réinvestir la notion d’intérêt général et d’y œuvrer collectivement. L’Archipel des régions en apporte la preuve par l’exemple !