Eau et développement durable : le point de vue de Jean-Luc Redaud

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Ingénieur Général honoraire des Ponts , des Eaux et des Forêts,  Jean-Luc Redaud a mené l’essentiel  de sa carrière dans le  monde de l’eau pour le compte du Ministère de l’environnement.  Il a notamment été chargé du suivi du Sommet mondial sur l’eau de Paris en 1998 ainsi que des forum mondiaux qui ont suivi.  En 2002 il a conduit  la préparation des contributions de la société civile française pour le Sommet Mondial du Développement Durable de Johannesbourg, puis la présidence du Comité ISO224 chargé de définir des règles  internationalement reconnues  de gouvernance des services d’eau potable et d’assainissement. Membre de l’académie de l’eau, il préside actuellement  le groupe de travail du Partenariat Français pour  l’Eau  sur les  impacts du changement climatique pour le monde de l’eau.

Il est actuellement administrateur de 4D.

En quoi les enjeux de l’eau en ville sont-ils liés avec d’autres grandes problématiques du développement durable ? Comment 4D se saisit-elle de ce sujet ?

Le dossier de l’eau est depuis l’origine un des grands sujets au cœur des réflexions sur le  développement durable puisqu’on y retrouve mêlés des considérations économiques (organiser des services d’eau a  un coût), sociales (un service essentiel  impliquant un accès pour tous) et environnementales (une ressource renouvelable mais fragile et limitée).

C’est un sujet au croisement de multiples activités : l’eau est indispensable à la vie, mais aussi au cœur de multiples services publics (eau potable, hygiène, santé, risques), ou économiques (alimentation,  industries, énergie, navigation fluviale etc.). C’est un lieu où il faut faire vivre des formes particulières de démocratie assurant une confrontation d’intérêts divers.

Au plan international, on a ainsi retrouvé l’eau dans notre plaidoyer sur les ODD : ce secteur fait l’objet d’un ODD particulier, l’ODD6, mais est aussi présent sur les 17 ODD, et notamment sur les ODD plus généraux  qui traduisent des valeurs auxquelles 4D est attachée (lutte contre la pauvreté, démocratie, écologie, participation citoyenne). L’eau est aussi très présente dans le plaidoyer sur les stratégies d’adaptation aux changements climatiques. L’eau, s’est ainsi retrouvée souvent un sujet de nos travaux via notre participation à la coalition-eau ou  via nos enquêtes au sein d’OurLife21.

La situation Française est sûrement moins critique que celles de beaucoup de pays pauvres menacés par les effets des changements climatiques.  Notre  activité s’est concentrée dans la période récente sur quelques cibles qui recoupent les priorités de notre association : la participation citoyenne, l’accès à l’eau pour tous et les nouvelles formes de gestion de l’eau dans la ville.

Les services d’eau et d’assainissement sont des services où ont été posés très tôt des problèmes de participation des usagers et associations diverses notamment environnementales à l’organisation et au devenir de ces services. La généralisation des CCSPL (Commission Consultative des Services Locaux), une définition plus complète des obligations de compte-rendu des activités de ces services par les élus locaux ou sociétés prestataires de services ont répondu pour partie à ces demandes.

Sur l’accès à l’eau pour tous, nous participons au plaidoyer des ONGs de la coalition eau, dont 4D  est membre, en faveur de nouvelles dispositions législatives concrétisant le droit d’accès à l’eau pour tous. Nous ne pouvons sur ce point que regretter que le projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale  en juin 2016  ait avorté face à l’obstruction du Sénat.  Ont été ainsi supprimées des propositions de mesures concrètes qui auraient permis de réelles avancées sociales : la mise à disposition gratuite d’équipements de distribution d’eau et d’assainissement pour des centaines de milliers de personnes démunies (ménages en habitat insalubre, personnes sans domicile fixe, demandeurs du droit d’asile ou réfugiés…) et la création d’une aide préventive pour aider près d’un million de ménages à faibles ressources à s’acquitter de leurs factures d’eau. (voir communiqué de la coalition eau).

Notre association est aussi investie dans de nouvelles visions des villes, de gestion de l’eau qui visent  à mieux connecter urbanisme, architecture et gestion de l’eau. Ceci concerne en premier lieu toutes les actions  visant à optimiser le petit cycle de l’eau : les économies d’eau sur le service public (fuite des réseaux) ou dans l’habitat ou  l’application des principes de l’économie circulaire (la STEP du futur devient, ainsi progressivement un producteur d’énergie, de matières fertilisantes et d’eaux propres à recycler). Plus originales sont les campagnes, menées notamment par les agences de l’eau, en faveur d’une meilleure connexion entre eau, architecture et urbanisme. Le développement traditionnel des villes se traduit par une expansion de surfaces imperméabilisées, sources de désordres multiples : dégradation de la qualité des eaux, inondations, courses sans fin à l’augmentation du dimensionnement des réseaux d’évacuation des eaux de pluies. De multiples solutions sont à notre portée pour réduire ces inconvénients : perméabilisation des terrains urbanisés (chaussées, parkings, etc.),  végétalisation de la ville, récupération et utilisation des eaux de toiture, etc. Nous avons dans cet esprit organisé avec PICRI et la Ville de Paris une séance sur les innovations des communes en Île-de-France sur ce sujet au Pavillon de l’eau ce mois de décembre 2016.

Au-delà du plaidoyer des ONGS spécialisées de ce secteur, notre association continuera à être  présente pour promouvoir une vision intersectorielle de ce sujet montrant que de nouvelles règles de gestion de l’eau pourraient être promues alliant démocratie, équité sociale et développement économique et une gestion plus raisonnée et respectueuse des équilibres naturels. A l’instar de ce que nous commençons à comprendre sur le climat, nos sociétés doivent apprendre à gérer plus intelligemment l’ensemble de nos ressources naturelles, dont l’eau est une composante essentielle ce qui appelle une révision de nos modèles traditionnels de développement.

On trouvera sur le site de l’Encyclopédie du Développement Durable plusieurs articles qui témoignent de cette activité.