Après la COP 21, quelles pistes de travail ?

Par Yves le Bars, membre de  4d et Président du CFSI, le 18 janvier 2016

La Conférence des Nations Unies sur le Climat, la COP21 à Paris est maintenant terminée, il faut en faire le bilan, et encore plus, définir les pistes à venir pour espérer en tenir les ambitions !

1/ La COP 21 Quel bilan ?

 

Regardons les décisions prises. On peut les lire dans le document approuvé à l’unanimité le 12 décembre. La première partie se nomme « la décision », qui précise le cadre et les modalités de l’entrée en vigueur de l’Accord, et a en seconde partie, en annexe, l’Accord lui-même, approuvé pour être proposé à la ratification des Etats.

Pour que cet Accord devienne effectif et ait une portée juridique, il doit être ratifié selon les modalités propres à chaque Etat, par au moins 55 Parties à la Convention et représentant au moins 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La décision

Avec la COP 21 nous entrons dans le 4ème cycle de négociation climat. Le troisième (2013-2020) a été marqué par l’échec du protocole de Kyoto, certes contraignant, mais mal respecté, et auquel les pays émergents comme la Chine n’étaient pas soumis. De plus les États-Unis, le Japon et la Nouvelle-Zélande avaient décidé de rester en dehors afin d’échapper à tout caractère juridiquement contraignant. Et même le Canada a décidé d’en sortir. 2015 avait été défini comme l’échéance pour l’adoption d’un nouvel accord pour la réduction des émissions à réaliser pour la période 2020-2030.

Certains regrettent que l’Accord ne soit pas ou peu contraignant, et sans mécanisme de sanction en cas de non-respect des engagements. Le protocole de Kyoto, lui qui était contraignant a tout de même été un échec.

La COP 21 a permis d’engager ce nouveau cycle et de produire les textes qui l’organisent. Tous les pays en sont cette fois ci partie prenante. Cela a été possible grâce à une inversion de la démarche, devenue « buttom-up », fondée sur l’engagement chiffré de chaque Etat. 183 Etats, représentant plus de 95 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ont remis avant la COP au secrétariat de la Convention Climat des Nations Unies (la CCNUCC) leur contribution nationale à la lutte contre le réchauffement climatique (on dit en langage onusien « les IDNC »). Certes ces engagements sont insuffisants pour tenir l’objectif des 2°C, et ils sont souvent discutables. La Russie annonce ainsi qu’avec le changement climatique la forêt boréale absorbera davantage de CO2, qui permet alors plus d’émission industrielles… Mais cela ne tient pas compte de ce que l’on a constaté : l’augmentation des températures engendre de grands incendies de forêts ne tient pas compte des incendies plus fréquents et graves….

 

Ronan DANTEC, sénateur écologiste, souligne plusieurs points[1]  :

  • Le caractère ambitieux des objectifs de rester en dessous des +2°C d’ici la fin du siècle, avec même le souhait de +1,5°C ; cela montre que plusieurs Etats ont conscience de déjà vivre les conséquences des changements climatiques.
  • Des mécanismes de révision assez rapides : dès 2018, les Etats devront refaire le point sur leurs contributions (s’appliquant à partir de 2020) ; ce qui permettra une évaluation des efforts faits. Mais cela est à préciser à la COP 22 à Marrakech fin 2016.
  • Le travail étroit avec les acteurs non-étatiques

Il ajoute que le lien entre Climat et Développement, entre l’accord de Paris sur le climat et les objectifs de développement durable (les ODD, adoptés en septembre à New-York) est évident, mais doit être affirmé !

Limite principale à ces points positifs : la faisabilité des objectifs est discutable. C’est le cas des 1,5°C qu’il ne faudrait pas dépasser : seul l’abandon rapide de toute énergie fossile pourrait l’atteindre. C’est aussi le cas des engagements financiers, insuffisants dans le cas du Fonds Vert affiché à au moins 100 Mds par an.

 

Il y a donc de nombreux points positifs dans cet accord, mais il y a aussi des faiblesses

 

Des thèmes sont absents, comme la place à donner à l’adaptation aux dérèglements climatiques dans les efforts internationaux, ou le prix à donner au Carbone, l’outil économique de choix adapté aux enjeux. Le trafic maritime n’est pas non plus cité, ni l’aviation civile. Mais il faut noter que le secteur aérien a cependant un rendez-vous important en septembre 2016 : l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) s’est en effet donné trois ans jusqu’en 2016 pour mettre en place un système international d’échange de quotas d’émissions.

La légitimité des Etats est réelle pour décider à l’échelle de la planète. Mais ce n’est pas la seule pour impulser des changements sociaux à la hauteur des enjeux. Et se pose la question : l’unanimité est-elle une règle démocratique ?

Enfin nous devons constater que les gouvernements sont tenus « à rênes courtes » par les grandes entreprises. C’était sensible à RIO en 2012, cela l’est aussi à Paris. Ne pas reconnaitre cette situation de la tutelle des acteurs économiques sur les gouvernements de nos pays, c’est aller à l’échec.

 

Alors quel jugement sur l’accord ?

 

Jean GADREY (AlterEco) dit : « En comparaison de qu’il aurait pu être, l’accord est un miracle. En comparaison de ce qu’il aurait dû être, c’est un désastre. »

 « L’accord de Paris est un réel progrès, sur lequel nous devons appuyer nos dynamiques d’action » dit Ronan DANTEC.

Amy DAHAN [2]: « Dans le monde tel qu’il est, avec ses égoïsmes, ses intérêts nationaux et ses forces d’obstruction, nous avons le meilleur accord possible. Dans la mesure où il n’est pas contraignant, il ne faut pas croire que ses résultats sont garantis si on ne l’accompagne pas, si les sociétés civiles et les acteurs étatiques les plus déterminés, en Europe notamment, n’agissent pas plus énergiquement. »

D’autres jugent que l’on a nourri le mythe, les gouvernements peuvent dire c’est un succès, alors que la réalité ne bougera pas. (Cf. Olivier Postel-Vinay, « COP 21 le ballon crevé », Libé 13 janv dernier).

On peut répondre que pour que la réalité bouge, il y a besoin du mythe, d’une vision du futur, d’une utopie… Quand il s’agit d’impulser un changement social planétaire, opposer mythe et réalité n’est pas réaliste !

2/ Au-delà de l’aspect formel ?

 

On ne doit pas s’arrêter à l’aspect formel de ce type de conférence. Les journées de la COP 21 et la longue préparation ont d’autres impacts.

Pour avoir une chance de décider au niveau mondial des politiques publiques adaptées, durables et équitables, il est indispensable qu’existe un espace politique mondialisé. Paris en a été une des manifestations, comme d’autres évènements, par exemple la conférence RIO +20 en 2012, les Forums sociaux mondiaux ou le travail d’expertise collective du GIEC.

Pendant ces quinze jours Paris a fait vivre l’amorce d’une société mondiale pour traiter un sujet clé, le climat, qui mieux que tout autre témoigne des limites de notre planète. La conscience de ces limites oblige à poser la question de la répartition équitable de ses bienfaits, et des finalités de l’activité humaine, partie intégrante du système planétaire.

  • Au 104 des organisations de la société civile, dont Les petits débrouillards, ont animé la ZAC, la Zone d’Actions Climat, le lieu le plus international et le plus jeune aussi. Naomi Klein y a fait une longue intervention un soir
  • La société civile (Coordination SUD, 4D et bien d’autres) a été très présente à l’Espace Générations Climat au Bourget ; l’association 4D (Dossiers débats pour le développement durable) y a affiché les résultats du programme Our Life 21[3], fondé sur la formulation de modes de vie « désirables et durables » par des groupes de citoyens de plusieurs pays au futur (2030 et 2050). Le CFSI en Algérie et le GRDR dans ses secteurs y ont contribué.
  • Le Sommet citoyen pour le Climat de 2 jours au milieu des 15 jours de la COP, à Montreuil qui a présenté des Alternatives, sur stands et en débats
  • Pendant la COP les « autorités locales » réunies à la Mairie de Paris se sont engagées à l’action pour le Climat, dans la suite du Sommet mondial Climat et territoires a réuni à Lyon avec des collectivités territoriales l’ensemble des acteurs non étatiques en juillet 2015.
  • Des entreprises regroupées par le Comité 21 ont présenté au Grand Palais leurs approches de la question du Climat et les solutions qu’elles proposaient. Certaines craignent pour leur notoriété, d’autres voient des perspectives de nouveaux marchés. Le « Business and Climate Summit », s’était clôturé à Paris le 21 mars sur un appel du secteur privé pour un accord climatique ambitieux et à la fixation d’un prix du carbone fiable.

Imaginons de telles convergences autour d’une grande conférence annuelle sur la réforme du système financier mondial !

 

En dehors de l’accord entre les gouvernements des engagements ont été pris à l’occasion de la COP. Dominique Auverlot[4] en note plusieurs : l’Alliance solaire internationale, lancée le premier jour à l’initiative de l’Inde ; la Mission innovation par laquelle 20 États signataires s’engagent à doubler leur budget de R & D sur les énergies propres en l’espace de cinq ans ; l’engagement des élus locaux à avancer vers une énergie 100 % renouvelable sur leurs territoires ou vers une réduction de 80 % de leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Il aurait pu ajouter l’initiative « 4 pour 1 000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat » lancée par la France. Elle vise à montrer que sécurité alimentaire et lutte contre les dérèglements climatiques sont complémentaires et à faire en sorte que l’agriculture la forêt et une bonne gestion des sols apportent des solutions. Cette initiative consiste en une coalition d’acteurs volontaires dans le cadre du Plan d’action Lima Paris (LPAA) soutenue par un programme de recherche ambitieux.

3/ Et maintenant ?

 

Tirons parti de la dynamique enclenchée ! Il n’y a pas un « ordre mondial » qui existerait, donné a priori, cela se construit, pas à pas.

 

1-                  Il faut maintenant être vigilant à la concrétisation des engagements pris et instituer l’évaluation transparente des efforts faits. Ce sera un des points clé de la COP22 à Marrakech, dont la France assure la préparation, puisqu’elle continue de présider la COP jusqu’au début de la COP22.

B Leguet, Directeur de la recherche de CDC Climat, disait en avril 2014 au Journal de l’Environnement : « le « but de guerre » de la COP 21 devrait se situer sur deux champs, la transparence et la construction de canaux de financement de la transition énergétique.

Plus de transparence, ça ne réduit pas les émissions de GES, mais c’est fondamental pour débloquer le volet financier de la lutte contre le réchauffement. »

« La France a par exemple promis de réunir les pays de plus grande ambition qui veulent aller plus vite » souligne A Dahan. Veillons à ce que cela soit tenu.

 

2-                  La mobilisation de la société civile est indispensable, en particulier par un plaidoyer à destination des gouvernements. Mais ce plaidoyer doit aussi être destiné aux grands groupes internationaux, qui se sont exprimés avant la COP 21, à laquelle ils ont été présents. Leur transformation vers une économie dé-carbonée est un enjeu majeur, comme la mise sur la place publique de leurs compromissions, de la distance entre leurs affirmations et la réalité. 116 entreprises (Carrefour, Kering, L’Oréal et Renault…) ont adopté lors de la COP21 une « feuille de route 2 degrés » dans le cadre de l’initiative Science Based Targets. Mais ce n’est pour l’instant qu’un affichage : «De façon plus générale, nous n’avons pas trouvé parmi les entreprises étudiées d’exemple de stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de la chaîne de valeur »[5]

 

3-                  Des thèmes essentiels ont dû être délaissés dans les décisions de la COP. Il faut les remettre sur la table comme le poids à donner à l’adaptation ou le prix du carbone. Et être vigilant sur ce que le secteur de l’aviation prépare pour la conférence de l’OACI fin 2016.

Pascal Canfin, WWF : « Le WWF sera présent, partout dans le monde, auprès des Etats, des collectivités locales et des entreprises pour transformer ces engagements en actes concrets »

 

4-                  Et il y a des transformations à impulser.

C’est vrai au niveau des collectivités territoriales, comme au niveau de chacun. Deux avis d’après la COP recueillis par la Fondation de l’Ecologie Politique l’expriment bien :

John WISEMAN, Directeur adjoint du Melbourne Sustainable Society Institute de l’Université de Melbourne dit : « Le véritable défi est maintenant d’accélérer encore la redirection des investissements mondiaux pour les industries des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’agriculture bas-carbone et les villes résilientes climatiquement.

Il est enfin important de souligner que la COP21 a montré le leadership et la créativité dont font preuve les communautés, les villes et les entreprises pour conduire vers la décarbonisation. L’étalage d’actions et d’engagements de leaders et de gouvernements locaux et régionaux à Paris démontre que ce sont eux qui peuvent changer la donne. »

Catherine JEANDEL, géochimiste et océanographe au CNRS : « les citoyens ne peuvent et ne doivent tout attendre des gouvernements. Que chacun peut dès aujourd’hui et selon ses moyens baisser la température du chauffage, ne pas climatiser, enfourcher un vélo pour les petites distances, co-voiturer, diminuer sa consommation de viande, isoler sa maison…que l’agriculture peut adopter des techniques bien moins émettrices (et plus rentables !) très rapidement. Il s’agit donc d’une mobilisation politique citoyenne au sens large : nous sommes tous acteurs ! »

5-                  Après la COP 21, qui a occupé les médias pendant le dernier trimestre 2015, il faut remettre l’accent sur les Objectifs du développement durable (les ODD) approuvés en septembre dernier par les Nations Unies. Ce sont eux qui donnent sens aux efforts autour des enjeux climatiques, en les contraignant à s’inscrire dans la lutte contre la pauvreté et l’accès de tous aux biens et services essentiels à une vie digne. Et mobiliser, dans la suite de la conférence d’Addis-Abeba de juillet dernier pour que les mécanismes financiers mondiaux soient tournés vers ces objectifs : c’est autour de la réforme des mécanismes de la finance mondiale que bon nombre de nos problèmes pourront trouver une solution.


[1] cf. le dossier de la Fondation de l’Ecologie Politique, du 14 déc dernier

[2] Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, CNRS «Ce qu’il reste à faire, après l’accord de Paris sur le climat » dans Idées pour le développement, blog de l’AFD. 5 janvier 2016.

[3] Voir le site www.association4d.org/our-life-21/ ou le site ourlife21.org/

[4] D. Auverlot, Note du Conseil d’analyse stratégique le 18 déc

[5] Cf. le rapport du bureau Le Basic sur les sponsors de la COP21 réalisé en partenariat avec l’Observatoire des multinationales : « Gaz à effet de serre : doit-on faire confiance aux grands groupes pour sauver le climat ? »