Les gaz de schiste : contribution au débat

Par Pierre Radanne

Ce qui est frappant avec la montée du débat sur les gaz et huiles de schistes, c’est le marquage très fort des positions d’emblée exprimées entre les partisans de leur exploitation avec la perspective d’une baisse des prix du gaz et les opposants qui perçoivent un risque d’abandon de des politiques axées sur une transition énergétique. Pour y voir clair, il faut d’abord revenir sur :

  • L’expérience récente de valorisation des gaz et huiles de schistes ;
  • Les conditions environnementales de leur exploitation ;
  • les incertitudes qui existent quant à leur potentiel.

Il faudra ensuite identifier les conditions possibles de leur exploitation.

L’expérience récente de valorisation des gaz et huiles de schistes

* Aux Etats-Unis

Les Etats-Unis ont connu « un choc gazier » dans les années 90 du fait d’un passage massif au gaz de leur industrie lourde et de leur production électrique à la suite du Clean Air Act. La consommation augmentant beaucoup plus vite que la croissance de la production de gaz naturel (surtout canadienne), les prix s’étaient d’autant plus envolés que le marché américain constituait une « île » gazière non raccordée à des gazoducs vis-à-vis de producteurs extérieurs à l’Amérique du nord et dépourvue de capacités d’importation grâce à des terminaux méthaniers. Dans ce contexte, la voie privilégiée a été l’intensification de la production pétrolière et gazière sur le continent nord-américain : offshore profond du Golfe du Mexique, sables bitumineux de l’Alberta et gaz de schistes. Les Etats-Unis sont le seul pays au monde où le sous-sol appartient aux propriétaires du sol, essentiellement donc des agriculteurs. Dans ces conditions, le lancement de l’exploitation des gaz de schistes, à partir de 2005, s’est effectué sans encadrement de leurs conditions techniques par les instances fédérales américaines (Environment Protection Agency) quant aux risques notamment de fuites de gaz, de remontées de substances radioactives et de benzène. La suite est connue. Dans certaines zones aux roches très faillées et où les zones exploitées étaient proches des nappes d’eau potables, des fuites importantes de gaz ont été constatées avec remontées directes à la surface et pollution des nappes.

* Le démarchage de l’exploitation des gaz de schistes en dehors des Etats-Unis, notamment en France.

Les compagnies américaines et d’autres dont Total, ont voulu reproduire le succès de l’exploitation des gaz et huiles de schistes connu aux Etats-Unis dans la dernière décennie. Elles se sont heurtées alors à 3 difficultés :

  • D’abord le fait qu’ailleurs, l’Etat a la propriété du sol. Ces sociétés ont donc dû en passer par l’octroi de permis de prospection, puis d’exploitation ;
  • Ensuite, l’information des déconvenues connues aux Etats-Unis s’est vite diffusée générant des mouvements d’opposition des populations riveraines (par ailleurs sans intérêt direct à leur exploitation) ;
  • Enfin, l’absence d’études préalables à leur exploitation, notamment concernant les risques de fuites, de la part des services nationaux compétents (BRGM).

Les choix économiques à faire :

Comme il a été indiqué en introduction, les oppositions à l’exploitation des gaz et huiles de schistes ne résultent pas seulement des conditions environnementales et sanitaires de leur exploitation. Elles résultent surtout d’une demande de cohérence de la politique publique dans le cadre d’une transition énergétique. Deux politiques énergétiques s’expriment ainsi :

  • L’une qui voit essentiellement dans l’exploitation des gaz et huiles de schiste une perspective de baisse des prix des énergies à court terme. Or comme il vient d’être exprimé, il y existe une incertitude totale sur le potentiel réellement exploitable, sur sa rentabilité et surtout sur la durée d’une telle exploitation.
  • L’autre cherche à fixer un cadre à la transition énergétique en insistant sur la nécessité d’économiser l’énergie et de valoriser les ressources renouvelables nationales comme socle incontournable de la politique énergétique à long terme. Dès lors, une baisse des prix des énergies à court terme par exploitation des gaz et huiles de schistes serait déstabilisatrice surtout si il se confirme qu’une exploitation de ces gisements serait sur une période relativement courte du fait d’un taux de récupération relativement faible. En outre, une baisse des prix du gaz serait totalement contradictoire avec la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

De tout cela, il est possible de tirer les conséquences suivantes :

  • Le fait que la France dispose de ressources serait dans tous les cas une bonne nouvelle : elle mérite d’être confirmée. Ceci étant acté, la question centrale est de savoir ce que l’on veut en faire et dans quelle stratégie.
  • Il ne faudrait pas que l’exploitation éventuelle des gaz et huiles de schistes s’accompagnent d’une baisse des prix des énergies. Il faudrait donc que l’Etat prélève une rente (l’écart entre le prix de revient et le prix du marché de l’énergie) et que cette ressource budgétaire finance en partie, au moins, la transition énergétique (économies d’énergie dans les bâtiments, l’industrie, les transports…).
  • Si le gaz était appelé à jouer effectivement un rôle important dans la transition énergétique, ce ne devrait être qu’une priorité de second rang par rapport à ce qui précède.

Pour un décryptage historique et scientifique, consulter l’article de Jacques Varet, publié dans l’Encyclopédie du développement durable.

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