Mya a 9 ans

Voir 2050 du point de vue d’une enfant, du point de vue de quelqu’un qui n’a jamais connu « l’avant », tel est le défi que s’est lancé Marie, auteure du récit « Mya à neuf ans ». Un récit original, imaginatif, et qui nous transporte dans la vision d’une petite fille de neuf ans qui grandit dans un monde qu’on ne connaît pas encore.

Un lotissement, son voisinage… l’urbanisme durable vu par les yeux d’une enfant.


 

 

Et pour l’interview de l »auteur, c’est ici

17 juillet 2050

IMAGE3Il fait sombre dans la cuisine ce matin, les volets sont encore fermés. Encore mal réveillée, je m’approche de la fenêtre et observe le jardin à travers les lamelles de bois. Le soleil est déjà là. Deux oiseaux se chamaillent, en sautillant. Ils piaillent puis disparaissent. C’est sans doute ces deux minus qui m’ont réveillé ce matin. Derrière moi, Papa est installé à table, et écoute les news, comme chaque jour. La voix parle du monde, et papa écoute le monde. Il a la tête dans son bol de café, et tout le corps aspiré par les news. Débats politiques, économie, énergie, éthique, accueil des migrants… Les informations se suivent. C’est un peu comme une musique. Je ne comprends pas toujours tout, papa me dit que c’est normal. Moi j’aimerai, des fois, arrêter cette voix, pour lui poser des questions.

Pendant ce temps maman tourbillonne d’un endroit à l’autre de la pièce. Comme si cela ne la touchait pas, comme si elle surfait sur les vagues du monde pendant que papa, lui, plonge dedans.

« Météo du 17 juillet :

« Heat burst observé à Paris pour la troisième nuit consécutive, où l’on a atteint jusqu’à 35°…»

Papa penche la tête. Il a l’air affecté. C’est fou comme la météo passionne les adultes. Un peu comme si ça les atteignait personnellement, dans leur ventre, au milieu, là où ça remue. Surtout Papa. C’est son côté sensible, « écolo » comme dit Maman. Il déteste quand elle lui dit ça. Il refuse d’être associé à un militant. Un héros oui, mais pas un écolo. Il faut dire que la nature, mon père n’en a que faire. Les oiseaux, les glaciers disparus, et le destin du koala d’Australie, ça ne le touche pas. En revanche, le cycle du carbone et les Mtep d’énergie économisées, ça oui !

Maman, elle, l’écologie, elle s’en fiche. Elle est bien trop occupée pour s’intéresser à ce qui l’entoure, et au monde encore plus. Sa façon à elle de s’ouvrir aux autres et à la planète, c’est le yoga. En faisant du yoga, elle cherche à se « relier à la planète ».  Étrange façon de voir.

Et moi dans tout ça ? Les adultes sont souvient bien compliqués quand ils parlent de la planète, ils ont parfois même un air coupable. « Effet de génération » explique la maîtresse…

Pendant que je m’interroge en contemplant l’herbe du jardin, une ombre traverse le jardin, si vite que je ne vois pas très bien ce que c’est. Je me frotte les yeux et m’éloigne de la fenêtre.

Je m’assois à la table du petit déjeuner table et entreprend d’avaler mon jus de fruit. Un jus de pomme, frais, que j’avale gorgée par gorgée.

«Mya, tu iras passer une semaine chez Tata Jo, à la mer, à la fin du mois. »

Ma gorge se serre, et je crache illico le jus sur la table. Il ne manquait plus que ça. Je n’avais pas du tout prévu de passer une semaine avec mes cousins, plus stupides que des mouches. Je trouve cette idée atroce. Je lève des yeux implorants vers mes deux parents. Inutile. Ils ne me regardent pas.

« Ça a l’air de te faire plaisir… ça se passera bien, j’en suis certaine. »

Maman essuie la table d’un geste rapide.

La journée commence mal. Je me lève et retourne vers la fenêtre.

Je fixe l’herbe, la tête en colère, à la recherche d’une solution. J’entends les news. « Démantèlement de centrales nucléaires, les opérations avancent… 50 000 emplois créés, se félicite le Ministre de l’énergie ». Papa zappe- il était temps. L’actualité économique me donne le tournis.

J’ai presque envie de vomir. Il n’y a rien à faire, moi qui envisageait de rester ici, avec mes copines, Léa et Abi, et aussi avec Bastien… Il va falloir que je supporte mes deux cousins, autant dire deux insectes, qui s’amusent encore à faire des pâtés de sable. Dans un endroit où il fait chaud, beaucoup trop chaud. Pfffff… Il faut que je trouve une solution.

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L’ombre traverse le jardin. Je chercherai une solution plus tard. Cette ombre m’intrigue. Car cette fois-ci je vois bien sa queue, ses oreilles pointues, son museau. Je retiens ma respiration. Mon œil est collé au volet maintenant, mes deux mains accrochées au rebord de la fenêtre. L’animal revient, tout doucement, il roule des hanches même. Mais voilà qu’il s’assoit face à moi et me sourit. Dans ses yeux brillent de petites étoiles jaunes, toutes petites. Je reprends mon souffle, tout doucement, comme si je craignais qu’il ne m’entende.

Son pelage roux, brillant presque, lui donne un air étrange. Sa queue se balance, d’un côté à l’autre. J’ai devant moi un renard. Je n’arrive plus à le lâcher du regard.

«  Tu reprendras du jus de pommes… ? »

Maman reste plantée là. Je reste là, la bouche suspendue, à attendre vainement qu’elle s’en aille.

« Non merci Maman… ».

J’ai cru que je n’y arriverai jamais. Elle tourne les talons. Le jus est trop sucré, je préfère le vrai, celui que fait Mamée, avec ses fruits, qui viennent de ses arbres. Quant à la barre chocolatée, c’est hors de question. La pâte de pois cassés avec des insectes, non merci. Cette obsession à vouloir me faire avaler ce type de mixture est une des raisons pour lesquelles je me méfie des adultes. De toute façon, je préfère les céréales, avec du chocolat. D’ailleurs j’attrape le paquet.

Enfin, maman rassemble ses affaires, fourre ses clés dans son sac, met son chapeau.

« Je pars à mon cours de yoga, tu restes ici avec ton père, pas de bêtises, OK… ? »

« OK maman… »

Mes parents sont naïfs. Ils sont bien loin de s’imaginer qu’il y a un renard dans le jardin. Si je leur dit, est-ce qu’ils pourraient avoir si peur, qu’ils oublieraient de m’envoyer chez Tata Jo ? Ce n’est pas certain. Dommage. Je jette un œil à travers le volet, le renard est toujours là qui me regarde. Il a un air malin et moqueur.

J’entends la porte qui claque. Maman est déjà loin. Papa s’en est-il rendu compte ? C’est à croire que non. Rien en lui ne bouge. Pas un cheveu. Il est assis en face de moi, me voit-il ? Pas sûr.

Deux pas de côté, me voilà en face du buffet, j’attrape mon bracelet-écran et revient me poster à la fenêtre. Je cadre doucement à travers le volet sur le renard.

« Schlick ! »

Le bracelet me dira si c’est vrai, si je ne rêve pas. L’image tournoie sur l’écran avant de se figer : du vert, de l’herbe, des fleurs, mais pas de trace du renard. Je tente un deuxième cliché. Je suis à nouveau déçue. Il n’y a rien sur l’image. Je me pince les lèvres et lève les yeux à nouveau. Dehors, le renard est toujours là. Il cligne doucement de l’œil. Comme s’il comprenait le fil de mes pensées.Draw your life 3

Je me retourne et cadre sur papa. « Schlick… ». L’image apparait : derrière le bol, les cheveux hirsutes de mon père dessinent des antennes, toutes connectées à je ne sais quoi. Aux news, sans aucun doute, au monde peut-être. Ma montre fonctionne normalement. Mais elle ne voit pas le renard. Je secoue la tête. Les frissons remontent le long de mes bras.

Un dernier coup d’œil à travers la fenêtre. Je dois m’avancer un peu plus. Le renard est comme transparent. La queue s’est effacée déjà, les pattes sont en train de partir aussi… Il n’y a plus rien. Le renard a disparu. Cet animal se moque de moi. Mais ça ne va pas se passer comme ça. Je tourne les talons et me réfugie à la table du petit déjeuner où est assis mon père.

D’un coup, papa s’agace, relève la tête, s’agite comme un pantin. Balayant l’air de sa main, il change de source, les émoticônes dansent sur l’écran. Les couleurs se mélangent, dessinent des arcs en ciel. Son geste me rassure bizarrement. J’aime voir les images défiler : une ville inconnue, une foule dansante, des grandes hélices, la mer. Papa s’arrête un instant sur l’annonce des cours de l’énergie. Pause. Il écoute attentivement, c’est un sujet qui le passionne. Il plonge à nouveau, ne faisant plus qu’un avec son bol.

Il fait toujours ça quand il écoute, quand « ça le concerne ». Car Papa pose et entretien des panneaux solaires et des compteurs intelligents. Son métier, c’est installer calculer, vérifier, monter sur les toits, veiller au « confort énergétique. » Il s’occupe des maisons des gens. Un aventurier des lotissements. C’est comme ça qu’il se présente. Même si il sait, au fond de lui, qu’il n’a rien d’un aventurier. Mais les fluides énergétique, les smarts grids, les kWh, terawatt-heures et les Tep… Tous ces mots le bercent. Les cours de l’énergie, c’est pour lui chaque matin un nouvel épisode de « la transition énergétique », « sa » transition.

Mes parents et les voisins ont rénové le quartier il y a quelques années, pour en faire un « éco-lotissement ». C’est l’histoire favorite que papa me racontait quand j’étais petite. Les maisons vieillissaient, et le prix de l’énergie augmentait. Alors ils ont créé une coopérative d’habitants, qui existe toujours, pour isoler les maisons, et produire leur propre énergie, avec le soleil et le vent. Ça n’a pas été simple selon papa. Les investissements, les négociations entre voisins, l’organisation collective, les problèmes techniques… Papa a vite fait d’en rajouter, mais, comme il dit, « on n’était pas des experts à l’époque »!

Puis ils ont installé des bornes vélo et les voitures pour tous, qui consommaient très peu. Et maintenant les petites voitures connectées, encore plus simples d’utilisation, surtout pour les personnes âgées du quartier. Surtout ce vieux Roger, heureusement qu’il ne conduit pas celui-là !

Vous trouvez l’histoire de mon père naïve ? Peut-être. C’est la seul histoire qui me plaise vraiment. Peut-être parce que le héros, c’est papa justement. Les parents de ma copine Léa, quand elle était petite, lui racontaient toujours les vieux contes d’antan : des histoires de loup, de forêt, ou encore de princesse, même de petit prince de renard, d’ogre ou de nains. Mon Papa, il est bien plus 21e siècle… Mais en parlant de renard, est-il encore là ??

Je décide de sortir. Je ne peux tenir plus longtemps, je dois en avoir le cœur net.

Je me lève. Papa me regarde. Il a fini son café. Il souffle et agite sa main.

« Une semaine à la mer te fera le plus grand bien. »

J’avais failli oublier. C’est à croire qu’il se moque de moi. J’ai encore la gorge qui gratte, et sur ma langue, le goût de la pomme est amer et trop sucré à la fois. Je secoue la tête pour oublier.

J’aimerai lui dire qu’il y a un renard dans le jardin. Mais à quoi bon ?

autumn-leavesJe sors de la cuisine et m’engage dans le vestibule. Une fois mes chaussures enfilées, je  pousse la porte. Le chemin de dalles me mène à travers le jardin, serpente entre les maisons. Il est tôt il fait encore frais, je sens l’air humide sur mon visage et la rosée qui qui entre dans mes sandales. Ce renard est sans doute parti se faufiler entre les maisons, ou dans les arbres, dans notre potager, que sais-je ? Le jardin est vaste, mais je suis certaine qu’il n’est pas parti se cacher. Je me pose un instant sur un des bancs qui borde l’allée centrale. Je l’attends.

Je regarde le jardin, l’allée verte, avec toutes les fleurs. Avant, il y avait des clôtures autour de chaque maison. Aujourd’hui on peut circuler librement, et l’allée verte relie les maisons et les retenues d’eau. « Ça créé un circuit » comme dit mon papa. C’est quelque chose dont il est très fier. C’était son idée à lui… (Enfin c’est ce qu’il dit). Au fond de l’allée, avec Tom, mon frère, dans la forêt, nous avons construit notre cabane. Un endroit tranquille, rien que pour nous.

Tiens-le voilà qui réapparaît. Il avance vers moi tout doucement. Alors que je me lève, il emprunte le chemin pavé et part en trottinant. Il se retourne de temps en temps, comme s’il m’attendait. Je décide de le suivre.

Il m’emmène à l’espace central. Les espaces services ne sont pas encore ouverts.  J’aperçois le coiffeur qui arrive en trottinette.

Le dernier projet de mon père avec les voisins, ça a été le centre de services, quand j’étais petite. Coiffeur, médecins, espace bien être, borne de commande-livraison… et l’espace de jeu bien sûr. Papa me raconte comment c’était avant, se lever quand il faisait encore nuit, les allers retours au supermarché, les embouteillages aux « heures de pointe », les difficultés pour se connecter, toutes ces choses désagréables. Je suis bien contente de ne pas être née plus tôt…

 

Rencontre avec Marie

 

Il s’agissait lors de l’atelier d’imaginer une histoire en 2050, vous pouviez donc tout imaginer. Comment vous est venu l’idée de raconter une histoire du point de vue d’une petite fille de 9 ans, Mya ? 

Tout d’abord, avoir un récit d’un point de vue d’un enfant était une volonté de l’association. Cela permettait de montrer 2050 à travers une pluralité de situations (jeune couple, personne âgée, etc.). De plus, l’idée d’un point de vue enfantin m’a tout de suite intéressé : cela m’a permis de m’affranchir de tout l’histoire d’un adulte ayant vécu la transition ou faisant face aux nouvelles technologies. Mya est née dans un monde qui évoluait déjà dans la transition écologique. Elle n’a surement pas vécue la hausse du prix du pétrole, la réduction du nombre de voitures, etc. Toutes les transitions que nous avons vécus et que nous allons vivre sont des faits du quotidien pour cette jeune enfant (même si elle risque d’en vivre encore par la suite).

 

Dans cette histoire, nous découvrons des personnages très peu sensibilisés aux problèmes environnementaux, alors même qu’on est en 2050 et que le père de Mya travaille dans les énergies. Comment percevoir cette différence ?

Il est vrai que la mère semble manquer d’intérêt écologique, elle est déconnectée de la nature et est consumériste. Néanmoins pour le père, la vision du monde est différente : il a participé à la transition de son quartier vers un lotissement écologique et autosuffisant en énergies (installation de panneaux solaires).

 

La famille de Mya habite dans un « éco-lotissement », pensez-vous que ce genre d’habitation  sera courant en 2050 ? plus largement, comment imaginez-vous les modes d’habitat en 2050 ?

La situation de la famille est significative d’une majorité de familles françaises au début du XXIème siècle : l’accès à la propriété d’une maison individuelle, avec son coin de jardin, dans un lotissement résidentielle. Cette logique d’étalement urbain est largement répandue comme le modèle idéal, modèle extensif et privatisé. Cependant, il est actuellement grandement critiqué par les enjeux du développement durable. L’allongement des distances induit une dépendance aux voitures, un coût d’infrastructures important, génère de nombreux transports (et les nuisances qu’ils induisent). Ce sont aussi des « déserts sociaux » où l’individu recherche avant tout chose une situation de tranquillité.

L’accompagnement vers un changement de modèle urbain est nécessaire et doit être conduit par des politiques publiques volontaristes. Ainsi les habitants, tels que le père de Chen, seront volontaires pour modifier leurs modes de vie et valoriser des enjeux durables : décloisonnement des lieux de vie, convivialité, respect de la biodiversité, circuits courts, etc. Le père récent une certaine prise de pouvoir par la maîtrise de son énergie et l’autonomie que cela lui confère.

Il est important de rappeler que ces récits sont prospectifs et inspirés de la méthode développement durable « Our Life 21 » : les objectifs du facteur 4 pour 2050 ont été fixé par les pouvoirs publiques et les Etats, cependant c’est aux individus de changer volontairement leurs modes de vie et ainsi influencer la courbe du changement climatique. Les récits ont été écrits en respectant les prévisions 2050, mais ne sont en aucun cas la réalité requise, c’est une proposition de direction à suivre pour la transition écologique.

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